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et de marbre noir. Sur la balustrade de ce jube s'elevent quatre statues
peintes. Elles sont dans le gout affreux de la Restauration et
representent trois chevaliers, avec de superbes panaches, et une belle
demoiselle habillee a la turque. Ils sont tous quatre tres ridicules et
semblent jouer Zaire devant la duchesse d'Angouleme. Je vous dirai tout
a l'heure qui sont ces trois chevaliers et cette jeune musulmane. Qu'il
vous suffise de savoir pour le moment qu'ils rapporterent d'Egypte
l'image miraculeuse qu'on venere depuis lors dans l'eglise ou nous
sommes.
Il faut passer sous le jube pour voir la petite Vierge de Liesse assise
dans le choeur au-dessus de l'autel. C'est une Vierge noire. J'ai
toujours eu beaucoup de gout et de curiosite pour les Vierges noires,
qui sont toutes fort anciennes. Elles ont des manteaux en forme
d'abat-jour. Elles sont evasees et courtes. Cela tient a ce qu'elles
sont assises et qu'on les habille comme si elles etaient debout, et il y
a la un mepris touchant de la forme humaine. Les Grecs avaient aussi
leurs idoles noires. C'etait, comme les notres, des statues de bois
informes et prodigieuses. Ils en attribuaient l'origine a Dedale, et ils
veneraient ces rudes images noircies par le temps. Ils les couvraient
aussi de voiles precieux. Les cultes se ressemblent plus qu'on ne croit.
Si, par une operation magique, la vieille paysanne, que je vois ici
machant des prieres sous son capuchon de laine, etait transportee
subitement a Pessinonte, dans le sanctuaire releve et rendu aux mysteres
antiques, elle acheverait sans trop de surprise, au pied de la Bonne
Deesse, l'oraison commencee devant la Sainte Vierge. Il faut tout dire:
la veritable Vierge noire de Liesse fut brulee en 1793, et celle qui la
remplace n'est, a mon gre, ni assez naive ni assez antique. On assure
qu'un peu du bois de l'ancienne, tire du feu, a ete retrouve et mis dans
la nouvelle, et les devots peuvent en recevoir quelque consolation, car
ils estiment ce bois plus excellent que celui de l'arche de Noe. Mais
qui rendra la petite idole vetue d'un abat-jour a ceux qui estiment,
avec l'eveque Synesius, que toutes les antiquites sont venerables?
C'est au fond de l'eglise, a gauche, dans la sacristie batie sous Louis
XIII, qu'est le tresor, aujourd'hui bien appauvri, de Notre-Dame de
Liesse: des coeurs en vermeil, des montres avec la chaine, de ces
grosses montres d'argent qu'on appelle oignons, une pendule a sujet, des
batons
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