rbare sous une chambre informe fait de quartiers de roche, et
plus loin s'efface dans la brume la pointe de Saint-Gildas, ou Abelard
fut menace de mort par des moines ignorants, qui haissaient la musique
et la philosophie. A droite, la lugubre presqu'ile de Quiberon s'avance
dans la mer que, vers le large, Belle-Ile barre comme un grand
brise-lames.
Mais, en tournant sur vous-meme de maniere a mettre Quiberon a votre
gauche, vous voyez la lande s'etendre jusqu'aux bois de pins qui tracent
au bord du ciel leurs lignes d'un bleu sombre; sur cette plaine, que la
bruyere colore d'un rose triste, passe la grande ombre des nuages. C'est
Carnac, le Lieu-des-Pierres.
Une armee de menhirs s'y tient en ordre regulier. Devant vous se
dressent les alignements du Menec; vous apercevez plus a droite ceux de
Kermario. Un pli de terrain vous cache de ce cote les pierres de
Kerlescan. Deux mille de ces geants informes sont encore ou debout ou
couches a leur rang. On croit qu'il y en avait autrefois plus de dix
mille.
Quels bras les ont plantes dans la lande? On ne sait. On ignore leur age
et leur destination. Ils semblent, dans leur majeste grossiere, garder
le muet souvenir de races depuis longtemps eteintes, et ils ont je ne
sais quoi de funebre, qui fait songer a des hommes tres rudes, a des
chefs de tribus sauvages qui dorment sous leur poids enorme. Pourtant,
en fouillant la terre sous ces menhirs, on n'y a rien trouve qui revelat
des sepultures.
M. de Mortillet croit que ces alignements sont les archives d'un peuple
qui vivait sur cette terre avant la venue des tribus celtiques et qui
plantait une pierre en commemoration de chaque fait dont il voulait
garder le souvenir; en sorte que la lande de Carnac serait un livre ou
ces hommes ecrivaient en quartiers de rocs les guerres, les alliances,
les grandes chasses, les navigations sur des troncs d'arbres creuses, et
les genealogies des chefs.
Les habitants de Carnac attribuent a ces pierres une origine tres
differente et beaucoup plus merveilleuse. Ils content qu'un jour saint
Cornely fut poursuivi dans la lande par une armee de paiens. Les paiens,
comme on sait, etaient des geants. Le serviteur de Dieu courut jusqu'au
rivage, dans l'espoir de s'embarquer pour fuir un si grand peril. Mais,
ne trouvant point de bateau, il se tourna vers les mecreants, et,
etendant les mains vers eux, il les changea en pierres. Aujourd'hui
encore, on appelle ces pierres "les soldats de saint
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