les presents du calife.
En vain le gardien de la prison, qui etait un vieillard abondant en
discours, leur conta les plus beaux apologues arabes pour leur persuader
de quitter la foi chretienne; ils ne se laisserent pas seduire par des
contes ingenieux, non plus que par l'exemple d'un baron normand qui,
s'etant fait adorateur de Mahom, vivait a Smyrne de fruits confits, avec
une douzaine de femmes qu'il vendait quand elles ne lui plaisaient plus.
Par tout ce qu'on lui rapportait de leur constance, le calife vit bien
que les trois fils de Mme d'Eppes ne viendraient a la religion sarrasine
ni par la peur des supplices ni par l'appat des richesses et des
voluptes. Il se flatta de les y amener par la dialectique. Il leur
envoya dans leur cachot les plus savants docteurs arabes qui leur
tenaient chaque jour les raisonnements les plus subtils. Ces docteurs
connaissaient Aristote; ils excellaient dans la mathematique, dans la
medecine et dans l'astronomie. Les trois fils de Mme d'Eppes ignoraient
l'astronomie, la medecine, la mathematique et les ouvrages d'Aristote,
mais ils savaient par coeur le pater et plusieurs belles prieres. C'est
pourquoi les savants arabes ne purent les convaincre et se retirerent
pleins de confusion.
Le calife, qui etait d'un caractere obstine, ne se tint pas pour vaincu
avec Aristote et les docteurs. Il eut recours a un artifice dont il se
promettait le meilleur succes. Sachez que ce calife avait une fille
jeune, belle et bien faite, musicienne et raisonnant plus subtilement
que les docteurs. Elle se nommait Ismerie. Son pere lui donna l'ordre de
revetir ses plus riches vetements, de s'oindre d'huiles balsamiques et
de visiter les trois chevaliers dans leur prison.
"Allez, ma fille, lui dit-il. Deployez toutes vos graces, employez tous
vos charmes pour gagner ces chretiens."
Le zele de la religion l'echauffait a ce point qu'il recommanda a sa
fille d'immoler meme ce qu'elle avait de plus cher, si ce sacrifice
devait tourner a l'avantage de Mahom.
Les recommandations du calife ont paru outrees a quelques auteurs qui
ont rapporte cette histoire. Mais le chanoine Willete fait observer
qu'elles sont naturelles chez un idolatre. Ainsi, dit-il, les filles de
Madian et de Moab, par le detestable conseil du faux prophete Balaam,
furent envoyees aux enfants d'Israel pour les pervertir et les faire
tomber dans l'idolatrie; ainsi les filles d'Ammon troublerent le coeur
du roi Salomon jusqu'a lui fa
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