|
profonde.
Le tres vieil aede qui a invente la plus grande partie du Livre XI ne
s'inquietait pas plus que ma Mere l'Oie des tristesses qui accompagnent
la meditation et la connaissance.
Il avait cette idee que les morts sont bien morts. "Helas! dit Achille,
il est dans la demeure de Hades des ames et des fantomes, mais ils sont
prives de sentiment." Telle etait la croyance tres simple de ces temps
heroiques. Pour notre chanteur errant, Tiresias, tout devin qu'il etait
sur la terre, partage sous la terre l'insensibilite commune a tous les
morts. Il ne voit ni n'entend.
Mais Ulysse, instruit par la magicienne Circe dans l'art de la
necromancie, connait le moyen de rendre aux ombres, du moins pour un
moment, la force de penser et de parler. Il sait que les morts se
raniment en buvant du sang chaud.
C'est pourquoi il egorge des brebis au bord de la fosse qu'il a creusee.
Aussitot les ames montent en essaim de l'Erebe. Jeunes femmes,
adolescents, vieillards ayant beaucoup endure et tendres vierges au
coeur plein d'un deuil recent, et ceux-la, en grand nombre, que perca la
lance d'airain, guerriers tues dans les combats, portant leurs armes
ensanglantees, ils se pressaient autour de la fosse avec une immense
clameur.
Et Ulysse, qui avait vu par les mers tant de spectacles a faire dresser
les cheveux sur la tete, eut peur. Il ecartait avec son epee ces ombres
qui, comme une nuee de mouches, volaient autour des brebis egorgees et
du sang des victimes. Reconnaissant sa mere dans l'essaim des ames, il
la chassa comme les autres. Car il voulait que le devin Tiresias but le
premier. Il aimait sa mere, mais il etait presse de se faire dire la
bonne aventure. Au reste, si l'on songe que l'homeride suivait de tres
pres quelque conte populaire, on ne sera surpris, pour peu qu'on ait
l'habitude du folk-lore, ni de la gaucherie naive du conteur ni de la
durete du heros. Pourtant, ce n'est pas Tiresias qui parle le premier.
C'est Elpenor. Il parle sans avoir bu de sang. Et l'on peut croire qu'il
a ete introduit dans cette scene d'evocation par quelque nouvel aede peu
soucieux d'observer les rites de la vieille necromancie.
Mais il faut considerer aussi que la situation d'Elpenor est
particuliere. Il n'a pas encore sa place dans les demeures de Hades. Il
est de ces morts qui, n'ayant point ete ensevelis, errent miserablement
autour des habitations et reviennent demander, la nuit, a ceux qu'ils
ont laisses en ce monde, un peu de
|