'il remplit, pour un sou, d'eau
miraculeuse. L'agonie des dieux est d'une tristesse infinie.
V
EN BRETAGNE
De la pointe du Raz (Finistere), 23 juillet.
Nous avons laisse derriere nous, sur la route d'Audierne, le bourg de
Plogoff et ses pecheurs de sardines. Au lieu de haies vives et d'arbres
ebranches, ce sont maintenant des murs bas de granit qui bordent les
champs maigres et sauvages. Dans une de ces clotures se dresse la table
d'un dolmen ecroule, vieux temoin muet des ages immemoriaux. Il y a
longtemps sans doute qu'il a fait gemir la terre de sa chute pesante.
Les nains noirs, poulpiquets et korrigans, qui, le soir, des que la
corne du berger a rappele le troupeau aux etables, dansent au clair de
lune et forcent le voyageur a entrer dans leur ronde, habitent ce palais
farouche. Tous les paysans bretons savent que les dolmens sont les
maisons des nains. Ils savent aussi que les menhirs de Carnac sont des
geants paiens changes en pierre par saint Cornely.
A notre gauche, la chapelle de Saint-Colledoc leve son clocher de pierre
ajouree. Saint Colledoc vecut au temps du roi Arthur. Son nom, sans
doute, n'a pas echappe au chanoine Trevoux, qui occupa son innocente vie
a cataloguer les saints de Bretagne.
J'ai connu dans mon enfance ce chanoine Trevoux, et il y a quelque
chance qu'aujourd'hui je reste seul au monde a l'avoir connu. Son image
subsiste encore en moi avant de s'abimer a jamais dans le neant. Le
souvenir de ce vieux pretre m'est revenu assez etrangement sur cette
route desolee d'Audierne. Ce n'est point de ma faute. Il y a des gens
qui sont maitres de leurs impressions et de leurs souvenirs. Je les
admire et je les envie. Mais je ne puis les imiter. A tout moment, des
hotes, que je n'avais point pries et que je ne saurais congedier,
viennent s'asseoir, ou souriants ou moroses, a la table de ma pensee. Et
voici que le chanoine Trevoux, trente ans apres sa belle mort, entre,
coiffe de son tricorne, sa tabatiere a la main, dans mon ame surprise.
Qu'il y soit le bienvenu! Il etait d'humeur heureuse et douce, ses joues
brillaient d'un vermillon si pur qu'on le croyait petri par un de ces
petits anges joufflus qui flottaient dans le choeur de l'eglise,
au-dessus de sa stalle canonicale. Il avait des gouts les plus
paisibles, et, comme les longs voyages dans la lande et sur la greve ne
convenaient point a sa vaste corpulence, c'est sur le quai Voltaire,
dans les boites des bouquinistes, qu'il
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