ant et de
sauvage, c'est la malice du pauvre homme qui veut jouer au plus fin avec
la destinee.
Eu, 23 aout.
Du haut de la colline de Saint-Laurent, nous decouvrons la ville d'Eu,
paisiblement couchee dans le creux d'un vallon. Elle est charmante ainsi
avec ses toits pointus, ses rues tortueuses et le clocher en charpente
de son elegante eglise. Nous la contemplons dans une sorte de
ravissement. C'est qu'aussi la vue a vol d'oiseau d'une jolie ville est
un spectacle aimable et touchant, ou l'ame se plait. Des pensees
humaines montent avec la fumee des toits. Il y en a de tristes, il y en
a de gaies; elles se melent pour inspirer toutes ensemble une tristesse
souriante, plus douce que la gaiete. On songe:
"Ces maisons, si petites au soleil que je puis les cacher toutes en
etendant seulement la main, ont pourtant abrite des siecles d'amour et
de haine, de plaisir et de souffrances. Elles gardent des secrets
terribles, elles en savent long sur la vie et la mort. Elles nous
diraient des choses a pleurer et a rire, si les pierres parlaient. Mais
les pierres parlent a ceux qui savent les entendre. La petite ville dit
aux voyageurs qui la contemplent du haut de la colline:
"Voyez; je suis vieille, mais je suis belle; mes enfants pieux ont brode
sur ma robe des tours, des clochers, des pignons denteles et des
beffrois. Je suis une bonne mere; j'enseigne le travail et tous les arts
de la paix. Je nourris mes enfants dans mes bras. Puis, leur tache
faite, ils vont, les uns apres les autres, dormir a mes pieds, sous
cette herbe ou paissent les moutons. Ils passent; mais je reste pour
garder leur souvenir. Je suis leur memoire. C'est pourquoi ils me
doivent tout, car l'homme n'est l'homme que parce qu'il se souvient. Mon
manteau a ete dechire et mon sein perce dans les guerres. J'ai recu des
blessures qu'on disait mortelles. Mais j'ai vecu parce que j'ai espere.
Apprenez de moi cette sainte esperance qui sauve la patrie. Pensez en
moi pour penser au dela de vous-memes. Regardez cette fontaine, cet
hopital, ce marche que les peres ont legues a leurs fils. Travaillez
pour vos enfants comme vos aieux ont travaille pour vous. Chacune de mes
pierres vous apporte un bienfait et vous enseigne un devoir. Voyez ma
cathedrale, voyez ma maison commune, voyez mon Hotel-Dieu et venerez le
passe. Mais songez a l'avenir. Vos fils sauront quels joyaux vous aurez
enchasses a votre tour dans ma robe de pierre."
Mais, pendant que j'ecout
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