vais souvenirs. Et puis, il m'est arrive
tant de choses, depuis, que je peux avoir oublie quelques details. Je
dois vous faire remarquer que je n'avais vu M. Sureau que trois fois. En
l'espace de cinq ans, c'est peu. Cela tient a ce que la maison Socque et
Sureau est trop importante: ces messieurs ne peuvent pas entretenir des
relations avec leurs deux mille employes. Quant a mon service, il
n'avait aucun rapport avec la direction.
Un matin donc, le telephone se met a sonner. Je ne sais si vous etes
sensible aux sonneries, cloches, timbres et autres appareils de cette
espece infernale. Pour moi, j'execre cela. L'existence d'une sonnerie
electrique dans l'endroit ou je me tiens suffit a troubler ma vie! Pour
cette seule raison, il y a des moments ou je me felicite d'avoir quitte
les bureaux. Une sonnerie, ce n'est pas un bruit comme les autres; c'est
une vrille qui vous transperce soudain le corps, qui embroche vos
pensees et qui arrete tout, jusqu'aux mouvements du coeur. On ne
s'habitue pas a cela.
Voila donc le telephone qui se met a sonner. Tout le bureau dresse
l'oreille, sans en avoir l'air. La sonnerie s'arrete, et on attend. Je
ne suis pas plus nerveux qu'un autre, mais cette attente est encore un
supplice, car on attend pour savoir s'il n'y aura pas plusieurs coups.
Un seul coup, c'est pour M. Jacob. Deux coups c'est pour Pflug, le
Suisse. Moi, je marchais a trois coups. Depuis que je suis parti, les
trois coups doivent etre pour Oudin, qui, de mon temps etait a quatre
coups. Oudin! Il n'est pas nerveux non plus, celui-la! Des le premier
coup, il commencait a se manger un ongle, sans en avoir l'air, bien
entendu. Et il a fini par avoir un panaris tournant a ce doigt-la.
Le jour en question, un coup, pas davantage. Un grand coup long, droit,
irritant a force d'assurance.
M. Jacob sort de derriere sa demi-cloison; il sort de ce reduit ou il se
tient comme un cheval de course dans son box. Il vient decrocher
l'appareil et, selon sa coutume, il S'accote, la tete collee contre le
mur, ou ses cheveux ont, a la longue, laisse une tache grasse.
La conversation commence. J'ecoute a moitie: c'est toujours etonnant un
bonhomme qui cause avec le neant, et qui lui sourit, qui lui fait des
graces, un bonhomme qui, tout a coup, regarde fixement la peinture
chocolat, sur le mur, comme s'il voyait quelque chose d'etonnant.
Ce jour-la, pourtant, M. Jacob ne souriait pas; il ne faisait pas de
graces. Des les premiers
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