tit en fermant la porte si violemment, que les cloisons en
tremblerent.
--Tu as tort de tenir ainsi tete a ton pere, ma fille, murmura la
faible Mme Favoral.
Le fait est que la pauvre femme ne comprenait pas que sa fille put
repousser l'unique moyen qu'elle eut de rompre avec la plus triste des
existences.
--Laisse-toi toujours presenter ce jeune homme, dit-elle. Il se peut
qu'il te plaise...
--Je suis sure qu'il ne me plaira pas...
Elle dit cela d'un tel accent, que Mme Favoral en fut soudainement
eclairee.
--Mon Dieu! murmura-t-elle, Gilberte, ma fille cherie, aurais-tu donc
un secret que ta mere ne connait pas?
XIV
Oui, Mlle Gilberte avait son secret.
Un secret bien simple, d'ailleurs, chaste comme elle, et de ceux qui,
selon l'expression des bonnes femmes, doivent rejouir les anges.
Le printemps de cette annee ayant ete d'une rare clemence, Mlle
Favoral et sa fille avaient pris l'habitude d'aller chaque jour
respirer le grand air a la place Royale.
Elles emportaient leur ouvrage, crochet ou tapisserie, de sorte que
cette distraction salutaire ne diminuait en rien le produit de leur
semaine.
C'est pendant ces promenades que Mlle Gilberte avait fini par
remarquer un jeune homme, un inconnu, qu'elle rencontrait, toujours au
meme endroit.
De haute taille et robuste, il avait grand air sous ses modestes
vetements, dont la proprete recherchee trahissait une gene qui veut
etre respectee. Il portait toute sa barbe, et son visage intelligent
et fier etait eclaire par de grands yeux noirs, de ces yeux dont le
regard droit et clair deconcerte les coquins et les fourbes.
Jamais, en passant pres de Mlle Gilberte, il ne manquait de baisser
ou de detourner legerement la tete, et malgre cela, et malgre
l'expression de respect qu'elle avait surprise sur son visage, elle ne
pouvait s'empecher de rougir.
--Ce qui est absurde, pensait-elle, car enfin que m'importe ce jeune
homme!...
L'infaillible instinct, qui est l'experience des jeunes filles
inexperimentees, lui disait que ce n'etait pas le hasard seul qui
placait cet inconnu sur son passage. Elle voulut cependant en avoir le
coeur net.
Elle sut si bien s'y prendre avec sa mere, que tous les jours de la
semaine qui suivit, le moment de leur promenade fut change. Tantot
elles sortaient des midi, tantot passe quatre heures.
Quelle que fut l'heure, toujours Mlle Gilberte, en depassant la rue
des Minimes, apercevait son inconnu sous l
|