l'oeuvre... Voila un an de cela.
Marcolet doit etre content. Deja, je lui ai trouve pour la teinture de
la soie une nuance nouvelle dont le prix de revient est presque
nul... Moi, je vivais, ayant reduit mes besoins au strict necessaire,
consacrant tout ce que mon travail me rapporte, a poursuivre le
probleme dont la decouverte serait pour moi la gloire et la fortune...
Palpitante d'une inexprimable emotion, Mlle Gilberte ecoutait ce jeune
homme, un inconnu pour elle, l'instant d'avant, et dont maintenant
elle savait la vie comme si elle l'eut vecue tout entiere pres de lui.
Car l'idee, certes, ne lui venait pas de suspecter sa sincerite.
Aucune voix, jamais, n'avait vibre a son oreille comme cette voix
dont les sonorites graves et emues eveillaient en elle des sensations
etranges et des legions de pensees qu'elle ne soupconnait pas.
Elle s'etonnait de l'accent de simplicite dont il parlait de
l'illustration de sa famille, de son opulence passee, de sa pauvrete
presente, de ses obscurs travaux et de ses hautes esperances.
Elle admirait le dedain superbe de l'argent qui eclatait en chacune de
ses paroles.
Il etait donc un homme, au moins, qui le meprisait, cet argent, devant
lequel jusqu'ici elle avait vu a plat ventre dans la boue, tous les
gens qu'elle connaissait...
Mais apres un moment de silence, toujours s'adressant en apparence a
son vieux compagnon, Marius de Tregars poursuivait:
--Je le repete, parce que c'est l'expression de la verite, mon vieil
ami, cette vie de travail et de privations, si nouvelle pour moi, ne
me pesait pas. Le calme, le silence, le constant exercice de toutes
les facultes de l'intelligence ont des charmes que le vulgaire ne
soupconnera jamais. Il me plaisait de me dire que si j'etais ruine,
c'etait uniquement par un acte de ma volonte. J'eprouvais des
jouissances positives a me repeter que moi, le marquis de Tregars,
j'avais eu cent mille livres de rentes, et a sortir l'instant d'apres
pour aller acheter chez le boulanger et chez la fruitiere mes
provisions de la journee.
J'etais fier de penser que c'etait a mon travail seul, a la besogne
que me payait Marcolet, que je devais les moyens de poursuivre mon
oeuvre. Et des sommets ou m'emportait l'aile de la science, je prenais
en pitie votre existence moderne, cette melee ridicule et tragique de
passions, d'interets et de convoitises, ce combat sans merci ni treve
dont la loi est: Malheur aux faibles! ou quiconque tombe e
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