ines gardaient leur aspect
tranquille et riant, aux rayons d'un tiede soleil d'automne.
De sorte que veritablement il fallait un effort d'imagination pour se
penetrer de la sinistre realite, pour se persuader que veritablement
Paris, avec ses deux millions d'habitants, etait comme retranche du
monde et separe du reste de la France par un infranchissable cercle de
fer.
On devinait le doute, et comme un vague espoir, a l'accent des gens
qui s'abordant au milieu des rues se disaient:
--Eh bien! c'est fini, nous ne pouvons plus sortir, les lettres memes
ne passent plus, nous voila sans nouvelles!...
Mais le lendemain, qui etait le 19 septembre, les plus incredules
furent convaincus.
Pour la premiere fois, Paris tressaillit aux roulements sourds du
canon tonnant sur les hauteurs de Chatillon.
Le siege de Paris, ce siege sans exemple dans l'histoire, commencait.
La vie des Favoral, pendant ces interminables jours d'angoisses et de
souffrances, fut celle de cent mille autres familles.
Incorpore dans le bataillon de son quartier, le caissier du _Credit
mutuel_ s'en allait, deux ou trois fois la semaine, de meme que tous
ses voisins, monter la garde aux remparts. Service inutile peut-etre,
mais que ne croyaient pas tel ceux qui le faisaient, service fort
penible, en tout cas, pour de pauvres bourgeois accoutumes au
bien-etre de leur boutique ou de leur bureau.
Assurement, il n'y avait rien d'heroique a pietiner dans la boue, a
recevoir la pluie sur le dos, a coucher a terre ou sur de la paille
malpropre, a rester en sentinelle par des froids de dix degres. Mais
on meurt d'une fluxion de poitrine tout aussi surement que d'une balle
prussienne, et beaucoup en mouraient.
Maxence, lui, apparaissait rarement rue Saint-Gilles.
Engage dans un bataillon de francs-tireurs, il faisait le coup de
fusil aux avant-postes.
Et quant a Mme Favoral et a Mlle Gilberte, leurs journees se passaient
a se procurer de quoi vivre. Levees avant le jour, par la pluie ou
par la neige, elles s'en allaient faire la queue a la porte de la
boucherie, ou apres des heures d'attente, elles recevaient un mince
morceau de viande de cheval.
Seules, le soir, au coin de l'atre ou fumaient quelques branches de
bois vert, elles sursautaient a chacune des detonations lointaines du
canon.
A chaque coup qui faisait grelotter les vitres, Mme Favoral se disait
que c'etait peut-etre celui-la qui tuait son fils.
Mlle Gilberte, elle, songeait
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