dementait son regard:
--Elle est folle! dit M. Favoral.
Des larmes d'indignation roulaient dans les yeux de Mlle Gilberte.
--Madame Desclavettes, s'ecria-t-elle, oublie quelque chose. Elle
oublie que ce monsieur a ose me dire qu'il se proposait de reconnaitre
a la femme qu'il epouserait une grosse fortune, qui serait ainsi
soustraite a ses creanciers dans le cas ou il viendrait a faire de
mauvaises affaires.
Elle pensait, en sa naivete, qu'un cri d'indignation allait s'elever.
Au lieu de cela:
--Eh bien! n'est-ce pas naturel? fit l'ancien marchand de bronzes.
--Il me semble plus que naturel, insista Mme Desclavettes, qu'un homme
tienne a preserver de la ruine sa femme et ses enfants.
--Parbleu! dit M. Favoral.
S'avancant resolument vers son pere:
--Avez-vous donc pris de telles precautions, vous? demanda Mlle
Gilberte.
--Non! repondit le caissier du _Credit mutuel_.
Et apres un moment d'hesitation:
--Mais moi, ajouta-t-il, je n'ai pas de risques a courir. Dans les
affaires, et lorsqu'on peut etre ruine par un mouvement de Bourse, on
serait bien fou de ne pas assurer du pain aux siens, et de ne pas,
surtout, s'assurer a soi-meme les moyens de recommencer. Le baron de
Thaller n'a pas agi autrement, et s'il lui survenait une catastrophe,
Mme de Thaller aurait encore une telle fortune et de quoi doter les
siens...
M. Desormeaux etait peut-etre le seul a ne pas admettre couramment
cette theorie, et ne pas se rendre a cette raison, pourtant si
decisive: "Cela se fait!"
Mais il etait philosophe, et pensait que c'est une duperie que de
n'etre pas de son temps. Il se contenta donc de dire:
--Hum! les creanciers de M. de Thaller ne trouveraient peut-etre pas
cette facon de proceder parfaitement reguliere.
M. Chapelain riait.
--Alors ils plaideraient, fit-il. On peut toujours plaider. Seulement,
quand les actes sont bien faits...
Mlle Gilberte etait consternee. Elle songeait a Marius de Tregars se
depouillant de la fortune de sa mere pour payer les dettes de son
pere.
--Que dirait-il, pensait-elle, s'il entendait emettre de telles
opinions.
Le caissier du _Credit mutuel_ poursuivait:
--Assurement, je blame toute espece de fraude. Mais je pretends et je
soutiens qu'un homme qui a travaille vingt ans pour donner une belle
dot a sa fille, a bien le droit d'exiger de son gendre certaines
mesures conservatrices, qui garantissent un argent qui est sien, en
definitive, et qui ne doit
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