a Marius de Tregars.
Les jours maudits de novembre et de decembre etaient arrives. On ne
parlait que de batailles sanglantes autour d'Orleans...
Elle se representait Marius, mortellement blesse, agonisant sur la
neige, seul, sans secours, sans un ami pour recueillir sa volonte
supreme et son dernier soupir.
Un soir, la vision fut si nette et l'impression si vive, qu'elle se
dressa toute pale en poussant un grand cri.
--Qu'est-ce? interrogea Mme Favoral epouvantee. Qu'as-tu?...
Plus clairvoyante, l'excellente femme eut facilement obtenu le secret
de sa fille, car Mlle Gilberte etait hors d'etat de rien nier.
Elle se contenta d'une explication qui n'en etait pas une. Elle n'eut
pas un soupcon, quand la jeune fille lui repondit avec un sourire
contraint:
--Ce n'est rien, chere mere, rien qu'une idee absurde qui m'a traverse
l'esprit...
Chose etrange! jamais le caissier du _Credit mutuel_ n'avait ete pour
les siens ce qu'il fut durant ces mois d'epreuves.
Pendant les premieres semaines de l'investissement, il s'etait montre
inquiet, agite, nerveux, il errait dans la maison comme une ame en
peine, il avait des acces d'inconcevable prostration pendant lesquels
on voyait des larmes rouler dans ses yeux, puis des crises de colere
sans motif.
Mais chaque jour qui s'etait ecoule avait paru verser le calme dans
son ame.
Petit a petit, il etait devenu pour sa femme si indulgent et si
affectueux, que la pauvre idiote en etait toute attendrie. Il avait
pour sa fille des prevenances dont elle ne revenait pas.
Souvent, lorsque le temps etait beau, il leur offrait le bras, et les
promenait le long des quais, jusqu'au mur d'enceinte, vers un endroit
occupe par un bataillon du quartier.
Deux fois il les conduisit a Saint-Ouen, ou campaient les
francs-tireurs dont Maxence faisait partie.
Un autre jour, il voulait absolument les mener visiter l'hotel de
M. de Thaller dont la surveillance lui avait ete confiee. Elles
refuserent, et au lieu de se facher comme il n'eut pas manque de le
faire autrefois, il se mit a decrire les splendeurs des appartements,
les meubles magnifiques, les tapis et les tentures, les tableaux de
maitres, les objets d'art, les bronzes, enfin tout ce luxe eblouissant
dont les financiers se servent a peu pres comme les chasseurs du
miroir ou viennent se prendre les alouettes.
D'affaires, il n'en etait plus question.
S'il allait, le matin, jusqu'au _Comptoir de credit mutuel_, c'etait
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