clate!...
Pour le digne maestro, l'epouvantable catastrophe n'etait evidemment
qu'un nouveau caprice de sa destinee, a lui.
--Que vous arrive-t-il? demanda la jeune fille reprimant un sourire.
--Il m'arrive, signora, que je perds mon eleve bien-aime. Il
m'abandonne, il me fuit. C'est en vain que je me suis jete a ses
pieds, mes larmes n'ont pu le retenir. Il va se battre, il part, il
est soldat!...
Alors il fut donne a Mlle Gilberte de voir clair en son ame. Alors
elle comprit combien absolument elle s'etait livree, et a quel point
elle avait cesse de s'appartenir.
Sa sensation fut atroce, telle que si tout son sang se fut ecoule
soudainement par ses arteres ouvertes.
Elle palit, ses dents se choquerent et elle parut si pres de se
trouver mal, que le signor Pulci bondit jusqu'a la porte, en criant:
--A moi! au secours! Elle se meurt!...
Epouvantee, Mme Favoral accourait.
Mais deja, grace a une toute-puissante projection de volonte, la jeune
fille avait reussi a se remettre, et souriant d'un pale sourire:
--Ce n'est rien, maman, dit-elle... Une douleur soudaine... au coeur;
deja elle est passee.
Le digne maestro s'arrachait les cheveux. Attirant Mme Favoral dans
l'embrasure de la croisee:
--C'est moi, disait-il, qui, par l'aveu de mes malheurs inouis, l'ai
ainsi bouleversee. Monstrueux egoiste, je n'ai pas su menager son
exquise sensibilite.
Elle n'en voulut pas moins prendre sa lecon comme d'ordinaire, et
elle recouvra assez de sang-froid pour faire causer encore le signor
Gismondo, et en obtenir tout ce que lui avait confie cet eleve qu'il
regrettait tant.
C'etait peu de chose. Il savait que son eleve etait alle, comme le
premier venu, rue du Cherche-Midi, qu'il y avait signe un engagement,
et qu'on lui avait donne une feuille de route pour rejoindre un
regiment en formation aux environs de Tours.
De sorte qu'en se retirant:
--Ce ne sera rien, dit l'excellent maestro a Mme Favoral, la signora
est tout a fait remise, et gaie comme un pinson.
Enfermee dans sa chambre, la signora pleurait a chaudes larmes.
Elle essayait de se raisonner et n'y pouvait parvenir. Jamais
l'etrangete de sa situation ne lui etait si nettement apparue. Elle se
repetait avec un reel effroi qu'il y avait de la folie, dans ce fait
de s'etre ainsi attachee a un inconnu, et que pareille chose ne
s'etait jamais vue. Elle se demandait comment elle avait pu se laisser
envahir par ce grand amour, qui etait devenu
|