lle, o mon unique ami, partez, puisque
l'honneur commande... Mais n'oubliez pas que ce n'est pas votre vie
seule que vous allez risquer...
Et craignant d'eclater en sanglots, elle s'enfuit, et arriva rue
Saint-Gilles, quelques instants seulement avant son pere, qui etait
alle aux nouvelles.
Celles qu'il avait recueillies etaient sinistres.
De meme que la maree montante, les Prussiens s'etendaient et
approchaient, lentement, mais incessamment. On comptait leurs etapes,
on pouvait dire le jour et l'heure ou leur flot viendrait battre les
murs de Paris.
Aussi etait-ce a tous les chemins de fer un prodigieux entassement
de gens qui voulaient partir a tout prix, n'importe comment; dans le
wagon des bagages, au besoin, et qui, certes, ne partaient pas comme
Marius de Tregars pour courir a l'ennemi.
L'un apres l'autre, M. Favoral avait vu s'envoler presque tous les
gens qu'il connaissait.
Le baron, la baronne de Thaller et leur fille etaient alles
s'installer en Suisse. M. Costeclar visitait la Belgique. L'aine des
MM. Jottras achetait en Angleterre des fusils et des cartouches. Et si
le plus jeune des MM. Jottras et M. Saint-Pavin du _Pilote financier_
restaient a Paris, c'est que la galante influence d'une dame dont ils
taisaient le nom leur avait fait obtenir du gouvernement des marches
avantageux.
Aussi les perplexites du caissier du _Credit mutuel_ etaient grandes.
Le jour du depart du baron et de la baronne de Thaller:
--Prepare nos malles, commanda-t-il a sa femme, la Bourse va fermer,
le _Credit mutuel_ se passera bien de moi...
Mais le lendemain ses indecisions le reprirent. Ce que Mlle Gilberte
croyait deviner, c'est qu'il mourait d'envie de partir seul, sans sa
famille, et qu'il n'osait. Il hesita si bien qu'un beau soir:
--Tu peux defaire les malles, dit-il a sa femme. Paris est bloque, on
ne sort plus.
XVIII
On venait d'apprendre, en effet, que le chemin de fer de l'Ouest,
reste le dernier ouvert a la circulation, etait definitivement coupe.
Paris etait investi.
Et si rapide avait ete l'investissement, que c'est a peine si on y
pouvait croire.
C'est par bandes, que les gens se portaient sur les points culminants,
sur les buttes Montmartre et sur les hauteurs du Trocadero. Des
loueurs de telescopes s'y etaient installes, et c'etait a qui
appliquerait son oeil a l'oculaire pour interroger l'horizon et y
chercher les Prussiens.
On ne decouvrait rien. Les campagnes lointa
|