crayons. Nous pensons a vous, a votre ardeur,
et a votre habilete dans ces grands travaux, a votre bon gout, et a
votre passion pour planter des clous. Quant a moi, j'en ai un torticolis
effroyable.
Je vous envoie une lettre pour Pierret. Engagez-le a me repondre le plus
vite possible; car je pars a la fin du mois, pour ma petite tournee.
Donnez-moi en meme temps de vos nouvelles, et soignez-vous bien afin de
ne m'en donner que de bonnes. Adieu, chere maman; je tombe de fatigue
et m'endors en vous embrassant de toute mon ame, ce qui me donnera une
bonne nuit, j'en reponds.
Maurice vous ecrira directement; aujourd'hui, la lettre est assez
grosse. Renvoyez-moi la lettre de Maurice, pour ne pas demembrer ma
collection; ce sont mes tresors, j'aime mieux cela que tous les romans
du monde.
CLI
A M. FRANZ LISZT, A GENEVE
Nohant, 18 aout 1836.
J'ai failli vous arriver le jour du concert. Qu'eussiez-vous dit, si, au
milieu du grand morceau brillant de Puzzi-Primo, je fusse entree avec
mes guetres crottees et mon sac de voyage, et si je lui eusse frappe sur
l'epaule au point d'orgue?
Puzzi-Primo ne se fut pas deconcerte, accoutume qu'il est a braver
insolemment les regards d'un public infatue de lui; voire d'un public
de metaphysiciens, de Genevois. Mais Puzzi-Secondo, moins blase sur le
triomphe et moins certain de la douce bienveillance des demoiselles de
seize ans, eut fait une exclamation inconvenante, qui n'eut pas ete dans
le ton du morceau.
J'aurais eu le plus grand plaisir du monde a vous faire manquer votre
rentree et a vous faire gacher et massacrer votre finale. J'aurais, la
premiere, tire un sifflet, un mirliton, une guimbarde de ma poche, et
j'aurais donne au public de metaphysiciens le signal des huees. J'aurais
dit: "Messieurs, je suis l'agreable auteur de bagatelles immorales qui
n'ont qu'un defaut, celui d'etre beaucoup trop morales pour vous. Comme
je suis un tres grand metaphysicien, par consequent tres bon juge en
musique, je vous manifeste mon mecontentement de celle que nous venons
d'entendre, et je vous prie de vous joindre a moi, pour conspuer
l'artiste veterinaire et le gamin musical que vous venez d'entendre
cogner miserablement cet instrument qui n'en peut mais."
A ce discours superbe, les banquettes auraient plu sur votre tete, et
je me fusse retiree fort satisfaite, comme fait Asmodee apres chaque
sottise de sa facon.
Sans plaisanterie, mes
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