ni s'agenouiller. En se placant lui-meme bien en face
de ses compagnons armes, il nous parut, de loin, demander si la distance
etait convenable. Il recula d'un pas, et, s'etant bien assujetti sur ses
jambes afin de montrer qu'il ne tremblait pas, il fit un mouvement de
tete qui fut le signal du feu. Le bruit de la decharge nous parvint
trois secondes apres que nous avions vu ce brave s'affaisser, foudroye.
Il n'etait plus temps de s'attarder en des formalites superflues:
grace nous fut faite du defile devant le corps sanglant. Le camp leve
aussitot, la brigade se mit en marche par une des routes qui traversent
la foret. La journee etait belle, le ciel assez clair, sauf quelques
buees matinales qui s'evaporaient comme des farfadets a notre approche.
L'execution sommaire nous avait un peu, malgre un commencement
d'habitude, fige le sang: l'exercice nous semblait une necessite et
un bienfait. Le chemin prenait, entre la multitude d'arbres qui se
pressaient autour de nous, un caractere pittoresque, varie, car, au
coeur de la foret, les feuilles n'etaient pas toutes tombees: il y avait
la comme un regain, exhalant un doux parfum automnal. La fatigue se
faisait a peine sentir; l'etape eut ete vite parcourue; mais, pour la
defense de la patrie, le genie civil s'etait exerce en ces parages dans
le secret des bois: il contribua a moderer notre allure.
La tete de la colonne s'arreta a un carrefour devant une tranchee
a epaulement, obstacle qui deja immobilisait une batterie de notre
division arrivee par une autre route. Les artilleurs travaillaient
activement a retablir la voie; mais, apres une pause, nous n'attendimes
pas l'achevement de leur rude besogne. Bravant l'enchevetrement
des racines d'arbres, des fougeres et la fouettee des branches
successivement tendues par les fusils, l'infanterie tourna les
obstacles, en coupant a travers les taillis. Peu apres, la fin de la
foret s'annonca par une perspective romantique, dont l'image, quoique
vaporeuse, vague, est cependant fixee, indelebilement, je ne sais
pourquoi, dans ma memoire, avec la grace indefinissable d'un beau reve.
Au bout de l'avenue qui filait toute droite, au milieu des arbres
denudes, se dressait, sur un coteau, dans la lumiere plus vive de la
plaine, un castel a tourelles.
La grande halte eut lieu au dela de ce site charmant. Les fourriers,
condamnes a ecourter leur repos, durent presque aussitot prendre les
devants, pour aller, sous la conduite d'un adjuda
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