res d'eux un
drame poignant et qu'un invincible obstacle empeche d'aller au secours
des victimes. L'obstacle, c'etait la consigne. Ordre avait ete donne
d'attendre la: donc nous attendions un ordre nouveau pour marcher, et,
dans cette journee de penible attente, pas un homme ne quitta son rang.
Mais, depuis le chef de corps, visible a tous les yeux, sur son grand
cheval gris, jusqu'au plus modeste soldat, le flegmatique lieutenant
Barta, aussi bien que notre sous-lieutenant; le patient Villiot lui-meme
aussi bien que le bouillant Nareval; tous souffraient d'une inaction qui
paraissait inexplicable et qui l'etait en effet.
Vers trois heures, un aide de camp du general Chanzy, le capitaine
Henry, qui precedemment avait guide sur Villepion les zouaves de
Charette, vint avertir notre chef qu'il etait temps de se preparer a
entrer en ligne. Le colonel repondit que nous etions prets, et qu'il
n'attendait plus que les ordres du general Charvet. Les officiers
generaux avaient sans doute recu avis que le general d'Aurelle, residant
a Saint-Jean-la-Ruelle, avait delegue le commandement de l'aile gauche
au general Chanzy; mais les chefs de corps n'avaient pas ete peut-etre
assez formellement avises de ces dispositions. En tout cas, il etait
hasardeux, pour un colonel disposant d'une reserve de 3000 hommes,
d'abandonner, sur l'avis d'un officier, d'etat-major qu'il ne
connaissait pas encore, le point ou d'un moment a l'autre son chef
direct pouvait lui transmettre l'ordre de marcher.
Or, etabli assez loin de nous, a gauche, en tete du 51e de marche, le
general Charvet s'etait trouve dans la sphere d'action du general
de Sonis qui, a la meme heure, l'entrainait avec les deux premiers
bataillons de ce regiment, commandes par le colonel Thibouville.
Un frisson avait agite tous les conscrits du 31e, au moment ou ils
parvenaient dans la zone dangereuse du combat; la gisait a terre le
corps d'un dragon, la main crispee sur la poignee du sabre, la tete
exsangue, aux grands yeux ouverts, fixes, completement detachee du
tronc, et retenue par la jugulaire intacte dans le casque a peau tigree.
D'abord etabli a trois cents pas des batteries mises en action par le
general de Sonis, le regiment, tous les hommes couches par ordre, avait
essuye dans cette position une grele d'obus. C'est la plus penible
maniere de recevoir le bapteme du feu. Aucun mouvement, aucune
preoccupation etrangere, rien ne distrait de la pensee de la mort: de la
mort
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