u matin, pour venir
promptement a votre secours; mais je marche avec des troupes fatiguees.
Nous voila, nous sommes ici, mais je vous declare que, si vous
avez besoin de nous aujourd'hui, il me sera bien difficile de vous
satisfaire." Avec son esprit net et precis, le general Chanzy dut etre
surpris de cet elan qui s'annihilait. Dans les graves circonstances
qu'il traversait, il s'etait contente de repondre: "Je tacherai de me
passer de vous".
Nous, qui ignorions ces details, et qui, presque a la portee du canon,
ne ressentions plus nos fatigues, nous etions impatients de marcher et
fort surpris de n'en pas recevoir l'ordre. Cet ordre, je l'attendais
personnellement comme une recompense. Il faut tout dire, ce recit ne
pouvant avoir d'interet qu'a la condition d'etre sincere comme une
confession. Le matin du 2 decembre 1870, j'ai subi une humiliation
profonde: il m'a ete inflige des voies de fait, et j'ai essuye
silencieusement l'outrage, et j'ai bu ma honte, par abnegation, par
devoir, par amour pour mon pays.
A l'aube, des distributions de vivres avaient ete annoncees. Comme
toujours, elles furent assez longues; comme toujours representant la
18e compagnie du regiment, je fus servi le dernier, et, naturellement,
regagnai le bivouac apres tous les autres fourriers. Le sous-lieutenant
Houssine, l'ancien sous-officier a chevelure rouge et raide,
m'accueillit en me reprochant ma lenteur. Quand, charge, pour venir en
aide a mes hommes de corvee, je m'en souviens, d'une moitie de pain de
sucre, je passai devant lui, il m'allongea dans le dos, sur le sac, un
coup de canne, pour activer ma marche, comme il eut fait a une bete de
somme.
M'arretant, je vis rouge pendant une seconde. La voix du canon me sauva.
Encourir le sort du caporal Tillot, quand j'allais pouvoir m'exposer
pour la noble cause, non. Je haussai les epaules sans plus hater le pas,
et le sous-lieutenant en fut pour une lachete qu'il n'eut point commise
si M. Eynard avait ete la, car le capitaine rendait justice a tous.
Quoi qu'il en soit, les tristes exemples qui nous avaient ete donnes, a
Lorges et dans la foret de Blois, me furent ce jour-la salutaires.
Ils m'enseignerent a ronger mon frein: mais j'aspirais a me battre,
a affronter le feu ennemi, pour m'absoudre a mes propres yeux de
l'ignominie acceptee sans protestation.
Aussi, tandis que nous attendions en armes sur le terrain ou nous avions
dormi, je m'efforcais de suivre des yeux, faute de pouv
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