on, les feux des
bivouacs ennemis. Puis il repartit au petit pas de son cheval, l'air
pensif, supputant sans doute, d'apres le nombre et l'eparpillement des
lueurs lointaines, les forces qu'il allait falloir combattre. Aucun
ordre ne vint du reste modifier les dispositions prises. Tout etait
tranquille, tout semblait dormir. Quelques fusees, du cote d'Orgeres,
dans les lignes allemandes, troublerent seules, par instants, cette nuit
calme et glaciale. Accompagnement habituel des fetes populaires, ces
trainees lumineuses, par leur eclat ephemere, par leur signification
inconnue, avaient je ne sais quoi d'ironique et d'irritant. Chaque fois
elles semblaient laisser l'horizon plus sombre.
Le jour parut enfin, ce jour que plusieurs milliers d'hommes, tous
sains, valides, vigoureux et dispos, jeunes et ardents, faits pour vivre
et pour aimer, ne devaient pas voir finir. Le froid persistait; mais,
quand le soleil se fut degage des brumes qui rasaient le sol, le
temps s'affirma superbe, tel qu'il peut etre reve pour une solennite
militaire. Et, de fait, toutes les manoeuvres preliminaires de combat
s'accomplirent avec ordre et methode, comme en une superbe parade qui
s'executa sous nos yeux.
LA DEROUTE
I
La brigade Charvet, la notre, formait la liaison des troupes du 16e et
du 17e corps d'armee. Elle devait donc, selon toute vraisemblance, etre
appelee a jouer un role important. Le succes pouvait dependre d'elle;
mais, dans sa situation intermediaire, il y avait un premier point a
etablir: il fallait savoir de qui lui viendraient les ordres. Pendant
quelques heures, au moins, elle avait ete placee sous l'autorite
immediate du commandant du 16e corps. Le general d'Aurelle avait en
effet donne des ordres en consequence: "La brigade commandee par le
general de Jancigny, dit-il dans son ouvrage sur la _Premiere Armee de
la Loire_, avait precede sa division, et etait arrivee a Patay le 1er
decembre, dans la nuit. Ce general se mit immediatement a la disposition
du general Chanzy, assure des lors de l'appui du 17e corps." Mais,
lorsque le general de Sonis, "plus vite que les aigles, plus courageux
que les lions", fut a son tour parvenu sur le theatre des operations,
il reprit evidemment autorite sur nous, et, ce qu'il faut peut-etre
regretter, c'est que des scrupules aient un instant suspendu son ardeur;
c'est qu'il les ait communiques au general Chanzy. "J'ai fait mon
possible, lui vint-il declarer a huit heures d
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