chacun entoure de
sa corvee, j'allai battre la semelle aupres des charrettes d'un convoi
administratif parque a l'entree du village. Annoncees pour minuit, les
distributions n'etaient pas achevees au petit jour. Or il neigeait. Les
flocons abondants, epais, voilaient le ciel, sans repit, d'une nuee de
taches claires tourbillonnant sur un fond gris, tandis que, dans le
cercle restreint ou la vue pouvait s'etendre, ils accusaient la forme
des choses en les ouatant de blanc. Meules de paille, chariots de
convoi, chevaux immobiles sous les harnais et nous-memes, tout prenait
une meme couleur spectrale, car le froid figeait les flocons, et il ne
nous etait pas permis de faire des feux visibles de trop loin: le foyer
que nous entretenions moderement avec des broussailles ne suffisait pas
pour nous degourdir les pieds et les mains; mais il colorait de lueurs
fugitives un tableau qui nous rappelait invinciblement la douloureuse
legende de la retraite de Russie.
III
Au jour, un jour presque aussi gris, aussi triste que la nuit, nous
pumes aller repartir les vivres entre les escouades, puis nous etendre
un peu, pendant que nos camarades preparaient la soupe sur les fourneaux
improvises le long des maisons. Elle fut vite absorbee, car le canon et
la fusillade avaient tot battu le rappel. Les Allemands, surpris de se
heurter contre une armee en bataille, quand ils esperaient n'avoir
qu'a ramasser des trainards debandes, avaient reconnu la necessite
de redoubler leurs coups. Avec l'assentiment du grand etat-major de
Versailles, le prince Frederic-Charles ralentissait la marche des
troupes dirigees sur la rive gauche de la Loire pour qu'elles pussent
seconder les efforts du grand-duc de Mecklembourg; et le 1er corps
d'armee bavarois, appuye par la 22e division prussienne et la 4e
division de cavalerie, allait tenter de rompre nos lignes.
Des huit heures, l'attaque se produisait violemment contre la division
Collin, du 21e corps, a notre gauche. Le general de Roquebrune se
dirigeait alors sur Cravant, et notre division recevait l'ordre de se
porter en soutien sur Cernay, le poetique petit village a la ceinture de
vergers.
En avant d'Origny, le bataillon se forme, sous les ordres du capitaine
David. La barbe blanche et le tremblement de tete de cet homme de haute
stature donnent une autorite singuliere aux commandements qu'il articule
d'une voix ferme, avec une energie juvenile. Sac au dos, les rangs
etaient formes: le vi
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