ouffrances, rien ne nous avait ete epargne. Apres des marches
forcees, quelques heures de repos sur la terre gelee; une nourriture
insuffisante, car plus d'un repas s'etait compose de biscuit et d'eau de
pluie prise dans un fosse. Toutes ces miseres, nous les bravions sans
regret, pour atteindre plus tot l'ennemi. Or, pour la seconde fois, nous
l'avions rencontre, et il nous fallait le fuir. Le fuir, sans avoir
brule une cartouche. D'autres, sans doute, s'etaient mesures avec lui
et avaient du s'avouer vaincus; mais, dans la petite sphere ou se meut
l'homme de troupe, il ne peut embrasser l'ensemble des operations, et,
tant qu'il n'a pas eprouve directement la superiorite de l'adversaire,
il est tente de croire que ses chefs n'ont pas su mettre a profit
sa bonne volonte. De la une rancoeur qui aggravait notre souffrance
physique.
Le lendemain, apres une nuit penible passee a Saint-Sigismond, que nous
avions traverse l'avant-veille d'un pas allegre et en chantant, nous
pumes croire qu'enfin nous allions etre utiles. Le mouvement de retraite
parut avoir ete suspendu. Tandis que le prince Frederic-Charles
refoulait a Artenay et a Cercottes notre 15e corps, les Bavarois avaient
repris haleine, et, le 4, ils harcelerent notre gauche a Patay, ou le
general de Tuce soutint vigoureusement le choc. A droite, la division
Barry se battit aussi a Bricy et a Boulay. Mais, a la nouvelle
qu'Orleans etait repris sur nous, il fallut continuer la retraite, avec
un changement d'orientation, vers Beaugency. Nous devions nous diriger
sur Baccon, a travers la foret de Montpipeau.
Notre bataillon, specialement charge d'escorter les convois du 17e
corps, laissa ses trois dernieres compagnies en observation dans un
hameau qui bordait la route. Pendant que nous attendions la disparition
du dernier fourgon, il nous fut offert en cet endroit un spectacle
inattendu. Nous etions six cents hommes occupes a surveiller
attentivement le point d'ou l'ennemi pouvait surgir, lorsqu'il s'eleva
dans cette direction un gros nuage. Il s'avancait lentement, souleve sur
la route par le mouvement d'une foule en desordre. Aucun point brillant
ne revelait cependant une troupe armee, et en effet nous fumes bientot
fixes. Femmes, vieillards, enfants, poussant devant eux des troupeaux
de betail, marchaient autour de chars atteles, les uns de chevaux de
labour, et d'autres de boeufs au pas pesant. Tous etaient charges de
mille objets entasses pele-mele. Au sommet de
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