etres.
Tout cela donnait de la solennite et du piquant a notre marche,
d'ailleurs bien ordonnee et bien executee. Il eut ete seulement
desirable de decouvrir a cette scene un decor plus riant, sous une
temperature plus clemente. Comme toujours, la brume ternissait le
paysage et le froid sevissait avec rigueur. Une bise glaciale cinglait
le visage, pincait les oreilles: les mains se crispaient sur l'acier des
armes. Quelques hommes roulerent leur mouchoir autour de la tete, les
bouts noues au-dessus de la visiere du kepi; d'autres, hardiment, en
rabattirent la doublure de cuir sur le front et sur les oreilles. Tous,
nous enfouissions une main dans une poche et l'autre sous le plastron de
la capote, en marchant l'arme au bras.
Armee de manchots, semblait-il au premier abord; mais l'allure etait
bonne, vive et decidee. Il n'y avait pour nous stimuler ni roulements de
tambours, ni sonneries de clairons; mais le canon nous marquait le pas,
nous guidait, nous attirait. Voila le meilleur metronome du soldat.
Au surplus, le nom de Coulmiers, seul nom de victoire qui eut depuis
longtemps retenti, enflammait un peu notre imagination. Coulmiers etait,
non le terme, mais l'orientation de notre etape. Bon augure. Le pas, sur
les sillons figes, etait ferme et releve. Il ne venait meme pas a l'idee
que nous pussions nous lasser d'avancer sur un sol pourtant si peu
propice.
Certes je n'entends pas nier en notre honneur l'emotion des combattants.
Les plus braves eprouvent au feu une impression combinee de sentiment et
de sensation, que le courage enseigne a dominer sans pouvoir toujours
l'etouffer: mais, a distance, la rumeur de la bataille electrise tout le
monde. En songeant aux coups que chaque decharge porte dans les rangs
des siens, on souhaite d'accourir: une genereuse impatience vous anime
et vous pousse. L'ouragan meurtrier ne mugit pas encore a vos oreilles,
le frisson de la mort qui passe au-dessus de vos tetes est loin;
l'horreur du carnage ne vous blesse point les yeux; il n'y a
veritablement que des heros qui vont au secours de leurs freres.
Tandis que chacun se felicitait en son for interieur de puiser une
vigueur necessaire dans l'idee du devoir, le bruit d'une cavalcade
resonna sur la terre gelee. L'etat-major s'avancait derriere nous. Tous
les officiers etaient enveloppes d'epaisses pelisses, aux fourrures
sombres, d'ou les tetes emergeaient a peine. Les kepis eux-memes ne
permettaient guere de distinguer les gr
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