utres insignes de sa profession future. Cependant, il eprouva un
serrement de coeur, quand l'aveugle eut renferme dans son coffre les
guenilles que son nouveau page de musique venait de quitter, pour
endosser la livree de sa nouvelle profession; c'etait pour lui comme un
adieu au monde, ou son costume de baladin ne lui permettrait plus de se
montrer. Ce deguisement l'avait change de telle sorte, que son pere meme
eut hesite a le reconnaitre; d'amples moustaches postiches acheverent la
metamorphose.
D'Assoucy s'apercut bientot que la perte de sa liberte n'avait guere de
compensations agreables, et s'il l'avait pu, des le lendemain de son
entree en fonctions, il eut repris son ancien genre de vie; mais il
etait garde de pres par son maitre, et surtout par le premier page de
musique, dont la jalousie ne fit que s'accroitre, en raison des progres
etonnants qui signalerent l'apprentissage musical de son jeune rival.
Ce fut meme la seule consolation du pauvre d'Assoucy, qui apprit
a composer, des airs et a jouer du luth, avec une si merveilleuse
facilite, qu'au bout de six mois il surpassait de beaucoup les talents
de son camarade: celui-ci en avait concu une haine feroce contre ce
dernier venu, qui lui disputait la faveur du Savoyard et du public.
Le Savoyard n'etait pourtant pas un maitre commode, dont les bonnes
graces meritassent de faire des jaloux: il avait le parler aussi brutal
que le geste, et ses coleres suivaient leur libre cours a tort ou a
raison, sans que la soumission la plus humble de la part de ses valets
servit a le calmer. Il n'epargnait pas les coups ni les avanies a ses
deux pages de musique, pour la moindre distraction, pour la moindre
negligence, pour la moindre fausse note, dans l'execution musicale dont
ils etaient charges: souvent, en public, il interrompait sa chanson, par
un double soufflet distribue a droite et a gauche; souvent il avait le
pied aussi leste a frapper, que la main. D'Assoucy seul se regimbait et
protestait contre ces admonitions imprevues, mais l'aveugle frappait de
plus belle et ne voulait rien entendre.
Ces inconvenients du metier se reproduisaient, chaque jour, sans amener
au moins quelque dedommagement; le Savoyard etait frugal dans ses repas,
mais les deux pages avaient a patir de ses rares exces de boisson;
l'ivresse l'excitait alors a battre monnaie sur la joue de ses deux
esclaves, suivant sa propre expression, car il ne les aimait pas et les
regardait comme des outils
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