le; puis un juif albanais, qui commandait une des
tartanes, et qu'une affreuse cicatrice defigurait entierement. Le renegat
et lui poserent le paquet sur la table et deroulerent lentement le haillon
hideux qui l'enveloppait. Giovanna sentit son coeur defaillir, et
l'angoisse de la mort parcourut tout son corps, lorsque de ce premier
lambeau elle en vit tirer un autre tout sanglant, hache a coups de sabre
et crible de balles, qu'elle reconnut pour le pourpoint qu'Ezzelin portait
la veille.
A cette vue, Orio, indigne, parla avec vehemence a Hussein. Giovanna,
n'entendant pas la langue dont il se servait, crut qu'il s'indignait du
meurtre; mais Orio, s'etant retourne vers le renegat et vers le juif, leur
parla ainsi en italien:
"Ceci un gage! Vous osez me presenter ce haillon comme un gage de mort!
Est-ce la ce que j'ai reclame, et pensez-vous que je me paye de si
grossiers artifices? Chiens rapaces, traitres maudits! vous m'avez trompe!
Vous lui avez fait grace afin de vendre sa liberte a sa famille; mais vous
ne reussirez pas a me derober cette proie, la seule que j'aie exigee de
vous. J'irai fouiller jusqu'aux derniers ballots et declouer jusqu'a la
derniere planche de vos barques pour trouver le Venitien. Mort ou vivant,
il me le faut; et, s'il m'echappe, je vous fais mettre en pieces a coups
de canon, vous et vos miserables radeaux."
Orio ecumait de rage. Il arracha le pourpoint ensanglante des mains du
renegat consterne et le foula aux pieds. Il etait hideux en cet instant,
et celle qui l'avait tant aime eut horreur de lui.
Il y eut entre ces quatre assassins un long debat dont elle comprit une
partie. Les pirates soutenaient qu'Ezzelin etait mort perce de plusieurs
balles et couvert de coups de sabre, ainsi que l'attestait ce vetement. Le
juif, sur la tartane duquel il etait tombe expirant, n'avait pu arriver a
lui assez tot pour empecher ses matelots de jeter son cadavre a la mer.
Heureusement la richesse de son pourpoint avait tente l'un d'eux, qui le
lui avait arrache avant de le lancer par-dessus le bord, et le juif avait
ete force de le lui racheter afin de pouvoir montrer a Orio ce temoignage
de la mort de son ennemi.
Apres beaucoup d'emportements et d'imprecations echanges de part et
d'autre, Orio, qui, malgre la brutalite et la mechancete de ses associes,
exercait un ascendant extraordinaire sur eux, et savait d'un mot et d'un
geste les reduire au silence au plus fort de leur colere, parut s'apaiser
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