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qui n'a meme plus la force d'engendrer des poisons.
--Tu parles de la terre comme un vrai Venitien: la terre est un amas de
pierres taillees sur lesquelles il pousse des hommes et des huitres.
--Et des bavards insipides, reprit Orio en s'arretant. J'ai envie de
t'assassiner, Zuliani.
--Pourquoi faire? repondit gaiement celui-ci, qui ne soupconnait pas a
quel point Soranzo, ronge par une demence sanguinaire, etait capable de se
porter a un acte de fureur.
--Pardieu, repondit-il, ce serait pour voir s'il y a du plaisir a tuer un
homme sans aucun profit.
--Eh bien! reprit legerement Zuliani, l'occasion n'y est point, car j'ai
de l'or sur moi.
--Il est a moi! dit Soranzo.
--Je n'en sais rien. Tu as jete ta part dans le canaletto; et quand nous
ferons nos comptes tout a l'heure, il se trouvera peut-etre que tu me
dois. Ainsi ne me tue pas; car ce serait pour me voler, et cela n'aurait
rien de neuf.
--Malheur a vous, monsieur, si vous avez l'intention de m'insulter!"
s'ecria Orio en saisissant son camarade a la gorge avec une fureur subite.
Il ne pouvait croire que Zuliani parlat au hasard et sans intention. Les
remords qui le devoraient lui faisaient voir partout un danger ou un
outrage, et dans son egarement il risquait a toute heure de se demasquer
lui-meme par crainte des autres.
"Ne serre pas si fort, lui dit tranquillement Zuliani, qui prenait tout
ceci pour un jeu. Je ne suis pas encore brouille avec le vin, et je tiens
a ne pas laisser venir d obstruction dans mon gosier.
--Comme le matin est triste! dit Orio en le lachant avec indifference; car
il avait si souvent tremble d'etre decouvert qu'il etait blase sur le
plaisir de se retrouver en surete, et ne s'en apercevait meme plus. Le
soleil est devenu aussi pale que la lune; depuis quelque temps il ne fait
plus chaud en Italie.
--Tu en disais autant l'ete dernier en Grece.
--Mais regarde comme cette aurore est laide et blafarde! Elle est d'un
jaune bilieux.
--Eh bien! c'est une diversion a ces lunes de sang contre lesquelles tu
deblaterais a Corfou: tu n'es jamais content. Le soleil et la lune ont
encouru ta disgrace; il ne faut s'etonner de rien, puisque tu te refroidis
a l'endroit du jeu. Ah ca! dis-moi donc s'il est vrai que tu ne l'aimes
plus?
--Est-ce que tu ne vois pas que depuis quelque temps je gagne toujours?
--Et c'est la ce qui t'en degoute? Changeons. Moi, je ne fais que perdre,
et je suis diablement blase sur ce
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