plaisir-la.
--Un joueur qui ne perd plus, un buveur qui ne s'enivre plus, c'est tout
un, dit Orio.
--Orio! si tu veux que je te le dise, tu es fou: tu negliges ta maladie.
Il faudrait te faire tirer du sang.
--Je n'aime plus le sang, repondit Orio preoccupe.
--Eh! je ne te dis pas d'en boire!" reprit Zuliani impatiente.
Ils arriverent en ce moment au palais Soranzo. Leurs gondoles y etaient
deja rendues. Zuliani voulut conduire Orio jusqu'a sa chambre; il pensait
qu'il avait la fievre et craignait qu'il ne tombat dans l'escalier.
"Laisse-moi! va-t-en! dit Orio en l'arretant sur le seuil de son
appartement. J'ai assez de toi.
--C'est bien reciproque, dit Zuliani en entrant malgre lui. Mais il faut
que je me debarrasse de cet or, et que nous fassions notre
partage.
--Prends tout! laisse-moi! reprit Soranzo. Epargne-moi la vue de cet or;
je le deteste! Je ne sais vraiment plus a quoi cela peut servir!
--Baste! a tout! s'ecria Zuliani.
--Si on pouvait acheter seulement le sommeil!" dit Orio d'un ton lugubre.
Et, prenant le bras de son camarade, il le mena jusqu'a un coin de sa
chambre ou Naam, drapee dans un grand manteau de laine blanche, et couchee
sur une peau de panthere, dormait si profondement qu'elle n'avait pas
entendu rentrer son maitre.
"Regarde! dit Orio a Zuliani.
--Qu'est-ce que cela? reprit l'autre; ton page egyptien? Si c'etait une
femme, je te l'aurais deja volee; mais que veux-tu que j'en fasse? Il ne
parle pas chretien, et je vivrais bien mille ans sans pouvoir comprendre
un mot de sa langue de reprouve.
--Regarde, bete brute! dit Orio, regarde ce front calme, cette bouche
paisible, cet oeil voile sous ces longues paupieres! Regarde ce que c'est
que le sommeil; regarde ce que c'est que le bonheur!
--Bois de l'opium, tu dormiras de meme, dit Zuliani.
--J'en boirais en vain, dit Orio. Sais-tu ce qui procure un si profond
repos a cet enfant? C'est qu'il n'a jamais possede une seule piece
d'or.
--Ah! que tu es fade et sentencieux ce matin! dit Zuliani en baillant.
Allons! veux-tu compter? Non? En ce cas, je compte seul, et tu te tiendras
pour content quand meme je decouvrirais que tu as jete tout ton gain sous
le pont des _Barcaroles?_"
Orio haussa les epaules.
Zuliani compta, et trouva encore pour Soranzo une somme considerable qu'il
lui rendit scrupuleusement; puis il se retira en lui souhaitant du repos
et lui conseillant la saignee. Orio ne repondit pas; et quand
|