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quiproquo et les meprises les plus bizarres et les plus penibles. Il vit
plusieurs fois s'operer la transformation de ces deux personnages l'un
dans l'autre. Lorsqu'il tenait la main d'Argiria et penchait sa bouche
vers la sienne, il trouvait la face livide et sanglante d'Ezzelin; alors
il tirait son stylet et livrait un combat furieux a ce spectre. Il
finissait par le percer; mais, tandis qu'il le foulait aux pieds, il
reconnaissait qu'il s'etait trompe et que c'etait Argiria qu'il avait
poignardee.
L'envie de guerir a tout prix et l'ascendant que Barbolamo exercait sur
lui l'amenerent avec celui-ci a une expansion temeraire. Il lui raconta
ses deux rencontres avec la signora Ezzelin, au bal et a l'eglise, le
ressentiment qu'elle lui temoignait et les angoisses que le regret de
n'avoir pu empecher la perte du noble comte Ezzelin lui causait a
lui-meme. Au premier aveu, Barbolamo ne se douta de rien; mais peu a peu,
etant devenu par la suite tres-assidu aupres de son malade, l'ayant
habitue a s'epancher autant qu'il etait possible a un homme dans sa
position, il s'etonna de voir un tel exces de sensibilite chez un egoiste
si complet, et cette anomalie lui fit venir d'etranges soupcons. Mais
n'anticipons point sur les evenements.
Barbolamo, grand egoiste aussi en fait de science, quoique genereux et
loyal citoyen d'ailleurs, etait plus desireux d'observer dans son patient
les phenomenes d'une maladie toute mentale, que de lui mesurer quelques
souffrances de plus ou de moins. Curieux de voir des effets nouveaux, il
ne craignit pas de dire a Orio que ses agitations etaient d'un bon augure,
et qu'il fallait s'appliquer a poursuivre la conquete de cette fiere
beaute, precisement parce qu'elle etait difficile et entrainerait de
nombreuses emotions d'un ordre tout nouveau pour lui. Orio poursuivit
Argiria de serenades et de romances pendant huit jours.
La serenade est, il n'en faut pas douter, un grand moyen de succes aupres
des femmes d'un gout delicat. A Venise surtout, ou l'air, le marbre et
l'eau ont une sonorite si pure, la nuit un silence si mysterieux, et le
clair de lune de si romanesques beautes, la romance a un langage persuasif,
et les instruments des sons passionnes, qui semblent faits expres pour la
flatterie et la seduction. La serenade est donc le prologue necessaire de
toute declaration d'amour. La melodie attendrit le coeur et amollit les
sens plonges dans un demi-sommeil. Elle plonge l'ame dans de vagu
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