t vraiment il n'y avait guere de merite alors a aimer Venise.
Elle etait si belle, si puissante, si joyeuse! c'etait une mere si bonne a
tous ses enfants, une amante si passionnee de toutes leurs gloires! Venise
avait de telles caresses pour ses guerriers triomphants, de telles
fanfares eclatantes pour la bravoure, des louanges si fines et si
delicates pour leur prudence, des delices si recherchees pour recompenser
leurs moindres services! Nulle part on ne pouvait retrouver d'aussi belles
fetes, gouter une aussi charmante paresse, se plonger a loisir aujourd'hui
dans un tourbillon aussi brillant, demain dans un repos aussi voluptueux.
C'etait la plus belle ville de l'Europe, la plus corrompue et la plus
vertueuse en meme temps. Les justes y pouvaient tout le bien, et les
pervers tout le mal. Il y avait du soleil pour les uns et de l'ombre pour
les autres; de meme qu'il y avait de sages institutions et de touchantes
ceremonies pour proclamer les nobles principes, il y avait aussi des
souterrains, des inquisiteurs et des bourreaux pour maintenir le
despotisme et assouvir les passions cachees. Il y avait des jours
d'ovation pour la vertu et des nuits de debauche pour le vice, et nulle
part sur la terre des ovations si enivrantes, des debauches si poetiques.
Venise etait donc la patrie naturelle de toutes les organisations fortes,
soit dans le bien, soit dans le mal. Elle etait la patrie necessaire,
irrepudiable, de quiconque l'avait connue!
Orio comptait donc jouir de ses richesses a Venise et non ailleurs. Il y a
plus, il voulait en jouir avec tous les privileges du sang, de la
naissance et de la reputation militaire. Orio n'etait pas seulement cupide,
il etait vain au dela de toute expression. Rien ne lui coutait (vous avez
vu quels actes de courage et de lachete!) pour cacher sa honte et garder
le renom d'un brave. Chose etrange! malgre son inaction apparente a
San-Silvio, malgre les charges que les faits elevaient contre lui, malgre
les accusations qu'un seul cheveu avait tenues suspendues sur sa tete,
enfin malgre la haine qu'il inspirait, il n'avait pas un seul accusateur
parmi tous les mecontents qu'il avait laisses dans l'ile. Nul ne le
soupconnait d'avoir pris part ou donne protection volontaire a la
piraterie, et a toutes les bizarreries de sa conduite depuis l'affaire de
Patras on donnait pour explication et pour excuse le chagrin et la
maladie. Il n'est si grand capitaine et si brave soldat, disait-on, qui,
apr
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