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reveries, et dispose a la pitie, cette premiere defaite de l'orgueil qui
se laisse implorer. Elle a aussi le don de faire passer devant les yeux
assoupis des images charmantes; et je tiens d'une femme que je ne veux pas
nommer, que l'amant inconnu qui donne la serenade apparait toujours, tant
que la musique dure, le plus aimable et le plus charmant des hommes.
--Dites donc tout, indiscret conteur! interrompit Beppa. Ajoutez que la
dame conseillait a tous les donneurs de serenades de ne jamais se
montrer."
"Il n'en fut pas ainsi pour Orio, reprit le narrateur. La belle Argiria
lui conseilla de se montrer en laissant tomber son bouquet, du balcon sur
le trottoir de marbre que blanchissait la lune: ne vous etonnez pas d'une
si prompte complaisance. Voici comment la chose se passa.
D'abord la belle Argiria n'etait pas riche. Le peu de bien que possedait
son frere avait ete fort entame par ses frais d'equipement pour la guerre.
Il rapportait une assez jolie part de legitime butin fait par lui sur les
Ottomans, et dument concede par l'amiral, lorsqu'il trouva la mort aux
Curzolari. Le noble jeune homme se faisait une joie douce de doter sa
jeune soeur avec cette fortune; mais elle tomba aux mains des pirates,
ainsi que sa galere et tout ce qu'il possedait en propre. La belle Argiria
n'eut donc plus pour dot que ses quinze ans et ses beaux yeux
melancoliques.
La signora Memmo, sa tante, la cherissait tendrement; mais elle n'avait a
lui laisser en heritage qu'un vaste palais un peu delabre et l'amour de
vieux serviteurs, qui par devouement continuaient a la servir pour de
minces honoraires. La tante desirait donc ardemment, comme font toutes les
tantes, qu'un noble et riche parti se presentat; et sachant bien que
l'incomparable beaute de sa niece allumerait plus d'une passion, elle la
blamait de vouloir s'enterrer dans la solitude et de tenir toujours _le
soleil de ses regards_ cache derriere la tendine sombre de son balcon.
A la premiere serenade Argiria fondit en larmes.
"Si mon noble frere etait vivant, dit-elle, nul ne se permettrait de venir
me faire la cour sous les fenetres avant d'avoir obtenu de ma famille la
permission de se presenter. Ce n'est point ainsi qu'on approche d'une
maison respectable."
La signora Antonia trouva cette rigidite exageree, et, se declarant
competente sur cette matiere, elle refusa d'imposer silence aux
concertants. La musique etait belle, les instruments de premiere qualite,
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