demi-voix: "Signor!" et de reculer discretement de deux
pas en arriere en otant sa toque, tandis que le signor ramassait le gage.
En voyant cette grande taille un peu affaissee, mais toujours elegante et
vraiment patricienne, se dessiner au clair de la lune, Argiria sentit une
sueur froide humecter son front. Un nuage passa devant ses yeux, ses
genoux se deroberent sous elle. Elle n'eut que le temps de fuir le balcon
et d'aller se jeter sur son lit, ou elle commenca a trembler de tous ses
membres et a defaillir. La tante, fort peu effrayee, vint a elle et lui
adressa de doux reproches moqueurs sur cet exces de timidite virginale.
"Ne riez pas, ma tante, dit Argiria d'une voix etouffee. Vous ne savez pas
ce que vous avez fait! Je suis presque sure d'avoir reconnu ce dernier des
hommes, cet assassin de mon frere, Orio Soranzo!
--Il n'aurait pas cette audace! s'ecria la signora Memmo en fremissant a
son tour. Courez chercher le bouquet, s'ecria-t-elle en s'adressant a la
suivante favorite qui assistait a cette scene. Dites qu'on l'a laisse
tomber par megarde, que c'est vous... que c'est le page... qui l'a jete
pour faire une espieglerie... que je suis fort courroucee contre vous...
Allez, Pascalina... courez..."
Pascalina courut, mais ce fut en vain; musiciens, amoureux et bouquet,
tout avait disparu, et l'ombre incertaine des colonnades, projetee par la
lune, jouait seule sur le pave au gre des nuages capricieux.
Pascalina avait laisse la porte ouverte. Elle fit quelques pas sur la rive,
et vit a l'angle du canaletto les gondoles qui s'eloignaient emportant la
serenade. Elle revint sur ses pas, et rentra en fermant la porte avec soin;
il etait trop tard. Un homme cache derriere les colonnes du portique
avait profite du moment: il s'etait elance legerement dans l'escalier du
palais Memmo; et, marchant devant lui, se dirigeant vers la faible lueur
qui s'echappait d'une porte entr'ouverte, il avait audacieusement penetre
dans l'appartement d'Argiria. Lorsque Pascalina y rentra, elle trouva sa
jeune maitresse evanouie dans les bras de la tante, et le donneur
d'aubades a genoux devant elle.
Vous conviendrez que le moment etait mal choisi pour s'evanouir, et vous
en conclurez avec moi que la belle Argiria avait eu grand tort d'ecouter
les huit serenades. L'effroi avait remplace la colere, et Orio ne s'y
trompait nullement, quoiqu'il feignit d'y croire.
"Madame, dit-il en se prosternant et en presentant le bouquet a la
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