l cessa d'etre enivre
et amuse, il cessa d'etre aveugle sur l'horreur des ses fautes. Elles se
dresserent devant lui, et lui parurent detestables, non pas au point de
vue de la morale et de l'honneur, mais a celui du raisonnement et de
l'interet personnel bien entendu; car Orio entendait par morale les
conventions de respect reciproque dictees aux hommes timides par la peur
qu'ils ont les uns des autres; par honneur, la niaise vanite des gens qui
ne se contentent pas de faire croire a leur vertu, et qui veulent y croire
eux-memes; enfin, par interet personnel bien entendu, la plus grande somme
de jouissances dans tous les genres a lui connus: independance pour soi,
domination sur les autres, triomphe d'audace, de prosperite ou d'habilete
sur toutes ces ames craintives ou jalouses dont le monde lui semblait
compose.
On voit que cet homme restreignait les jouissances humaines a toutes
celles qui composent le _paraitre_, et, puisque cette maniere de
s'exprimer est permise en Italie, nous ajouterons que les joies
interieures qui procurent l'_etre_ lui etaient absolument inconnues. Comme
tous les hommes de ce temperament exceptionnel, il ne soupconnait meme pas
l'existence de ces plaisirs interieurs qu'une conscience pure, une
intelligence saine et de nobles instincts assurent aux ames honnetes, meme
au sein des plus grandes infortunes et des plus apres persecutions. Il
avait cru que la societe pouvait donner du repos a celui qui la trompe
pour l'exploiter. Il ne savait pas qu'elle ne peut l'oter a l'homme qui la
brave pour la servir.
Mais Orio fut puni precisement par ou il avait peche. Le monde exterieur,
auquel il avait tout sacrifie, s'ecroula autour de lui, et toutes les
realites qu'il avait cru saisir s'evanouirent comme des reves. Il y avait
en lui une contradiction trop manifeste. Le mepris des autres, qui etait
la base de ses idees, ne pouvait pas le conduire a l'estime de soi,
puisqu'il avait voulu etablir cette propre estime sur celle d'autrui,
toujours prete a lui manquer. Il tournait donc dans un cercle vicieux, se
frottant les mains d'avoir fait des dupes, et tout aussitot palissant de
rencontrer des accusateurs.
C'etait cette peur d'etre decouvert qui, detruisant pour lui toute
securite, empoisonnant toute jouissance, produisait en lui le meme effet
que le remords. Le remords suppose toujours un etat d'honnetete anterieur
au crime. Orio, n'ayant jamais eu aucun principe de justice, ne
connaissait pas le
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