ensemble, noble seigneur, et que mes pleurs ne vous soient
plus un reproche, mais une marque de confiance et de sympathie."
Orio s'etait donne beaucoup de peine pour etre eloquent et tragique. Il
avait grand mal aux nerfs. Il fit un effort de plus et pleura.
D'ailleurs, Orio avait parle, a certains egards, avec la force de la
verite. Lorsqu'il avait peint une partie de ses souffrances, il s'etait
trouve fort soulage de pouvoir, sous un pretexte plausible, donner cours a
ses plaintes, qui chaque jour lui devenaient plus penibles a renfermer. Il
fut donc si convaincant qu'Argiria elle-meme s'attendrit et cacha son
visage dans ses deux belles mains. Argiria etait, a l'insu de Soranzo et
de sa tante, derriere une tapisserie, d'ou elle voyait et entendait tout.
Un sentiment inconnu, irresistible, l'avait amenee la.
Pendant huit autres jours, Orio suivit Argiria comme son ombre. A l'eglise,
a la promenade, au bal, partout elle le retrouvait attache a ses pas,
fuyant d'un air timide et soumis des qu'elle l'apercevait, mais
reparaissant aussitot qu'elle feignait de ne plus le voir; car, il faut
bien le dire, la belle Argiria en vint bientot a desirer qu'il ne fut pas
aussi obeissant, et pour ne pas le mettre en fuite, elle eut soin de ne
plus le regarder.
Comment eut-elle pu s'irriter de cette conduite? Orio avait toujours un
air si naturel avec ceux qui pouvaient observer ces frequentes rencontres!
Il mettait une delicatesse si exquise a ne pas la compromettre, et un soin
si assidu a lui montrer sa soumission! Ses regards, lorsqu'elle les
surprenait, avaient une expression de souffrance si amere et de passion si
violente! Argiria fut bientot vaincue dans le fond de l'ame, et nulle
autre femme n'eut resiste aussi longtemps au charme magique que cet homme
savait exercer lorsque toutes les puissances de sa froide volonte se
concentraient sur un seul point.
La Memmo vit cette passion avec inquietude d'abord, et puis avec espoir,
et bientot avec joie; car, n'y pouvant tenir, elle donna un second
rendez-vous a Soranzo a l'insu de sa niece, et le somma d'expliquer ses
intentions ou de cesser ses muettes poursuites. Orio parla de mariage,
disant que c'etait le but de ses voeux, mais non de ses esperances. Il
supplia Antonia d'interceder pour lui. Argiria avait si bien garde le
secret de ses pensees que la tante n'osa point donner d'espoir a Orio;
mais elle consentit a ce que l'amiral fit des demarches, et elles ne se
firent
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