oute avec deference,
vous le voyez.
--Eh bien! sachez que, peu d'instants apres que l'horloge eut sonne la
troisieme heure du jour, j'ai vu le comte Ezzelin entrer dans ma chambre,
tout ensanglante, et les vetements en desordre; je l'ai vu distinctement,
messer, et il m'a dit des paroles que je ne repeterai point, mais dont le
son vibre encore dans mon oreille. Puis il s'est efface comme
s'effacent les spectres. Mais je gagerais qu'a l'heure ou il m'a apparu il
a cesse de vivre, ou qu'il est tombe en proie a quelque destin funeste;
car hier, a l'heure ou il fut attaque par les pirates, j'ai vu en songe
l'Uscoque lever sur lui son cimeterre, et s'enfuir, la main brisee, en
blasphemant.
--Que signifient ces pretendues visions, madame, et quel soupcon
cachez-vous sous ces allegories?"
Ainsi parle Orio d'une voix tonnante et en se levant d'un air farouche.
Naam s'elance vers lui, et s'attache a son vetement. Elle ne comprend pas
ses paroles, mais elle lit dans ses yeux etincelants la haine et la
menace. Orio se calme, son emportement pourrait le trahir et confirmer les
soupcons de Giovanna. D'ailleurs Giovanna est calme, et, pour la premiere
fois de sa vie, elle affronte d'un air impassible la colere d'Orio.
"J'exige que vous me repetiez ces paroles terribles qui doivent me causer
tant d'effroi, reprend Orio d'un air ironique. Si vous me les cachez,
Giovanna, je croirai que tout ceci est une ruse de femme pour me
persifler.
--Je vous les dirai donc, Orio: car ceci n'est point un jeu, et les
puissances invisibles qui interviennent dans nos destinees planent
au-dessus des vaines fureurs qu'elles excitent en nous. Le spectre du
comte Ezzelin m'a montre une large et horrible blessure par laquelle
s'ecoulait tout son sang, et il m'a dit: "Madame, votre epoux est un
assassin et un traitre."
--Rien de plus? dit Orio, pale et tremblant de colere. Votre esprit a trop
d'indulgence pour mon merite, madame, et je m'etonne que les fantomes de
vos reves trouvent de si douces choses a vous dire de moi. A votre
prochaine entrevue, veuillez leur dire que je leur conseille de
s'expliquer mieux ou de garder le silence; car il est imprudent de parler
a la legere, et les visions pourraient bien etre de mauvais protecteurs
pour les creatures humaines qu'il leur plait de hanter."
En parlant ainsi Orio se retira, et l'arret de Giovanna fut prononce dans
son coeur.
La nuit est venue, l'epouse d'Orio n'a goute ni sommeil durant la
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