sant la necessite de penser au cote materiel
de la vie. Je t'envoie la derniere page de sa lettre; tu verras que
tu as la un ami dont tu ne te doutes guere, et dont la signature te
surprendra.
Non, je n'irai pas a Cannes malgre une forte tentation! Figure-toi
qu'hier, je recois une petite caisse remplie de fleurs coupees en pleine
terre, il y a deja cinq ou six jours; car l'envoi m'a cherchee a Paris
et a Palaiseau. Ces fleurs sont adorablement fraiches, elles embaument,
elles sont jolies comme tout.--Ah! partir, partir tout de suite pour les
pays du soleil. Mais je n'ai pas d'argent et, d'ailleurs, je n'ai pas le
temps. Mon mal m'a retardee et ajournee. Restons. Ne suis-je pas bien?
Si je ne peux pas aller a Paris le mois prochain, ne viendras-tu pas me
voir ici? Mais oui, c'est huit heures de route. Tu ne peux pas ne pas
voir ce vieux nid. Tu m'y dois huit jours, ou je croirai que j'aime un
gros ingrat qui ne me le rend pas.
Pauvre Sainte-Beuve! Plus malheureux que nous, lui qui n'a pas eu de
gros chagrins et qui n'a plus de soucis materiels. Le voila qui pleure
ce qu'il y a de moins regrettable et de moins serieux dans la vie,
entendue comme il l'entendait! Et puis tres altier, lui qui a ete
janseniste, son coeur s'est refroidi de ce cote-la. L'intelligence s'est
peut-etre developpee, mais elle ne suffit pas a nous faire vivre, et
elle ne nous apprend pas a mourir. Barbes, qui depuis si longtemps
attend a chaque minute qu'une syncope l'emporte, est doux et souriant.
Il ne lui semble pas, et il ne semble pas non plus a ses amis, que la
mort le separera de nous. Celui qui s'en va tout a fait, c'est celui
qui croit finir et ne tend la main a personne pour qu'on le suive ou le
rejoigne.
Et bonsoir, cher ami de mon coeur. On sonne la representation, Maurice
nous regale ce soir des marionnettes. C'est tres amusant, et le theatre
est si joli! un vrai bijou d'artiste. Que n'es-tu la! C'est bete de ne
pas vivre porte a porte avec ceux qu'on aime.
DCXXIX
A M. HENRY HARRISSE, A PARIS.
Nohant, 14 fevrier 1867
Cher ami,
Je vous remercie de penser a moi, de vous occuper de ce qui m'interesse,
et de me le dire d'une facon si charmante. C'est une coquetterie que me
fait la destinee, de me donner un correspondant tel que vous. Je vois,
grace a vous le diner Magny comme si j'y etais. Seulement il me semble
qu'il doit etre encore plus gai sans moi; car Theo a parfois des remords
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