est-il dur? Peut-etre. Il y a
une region dans l'ame, vois-tu, lorsque la douleur y entre, la pitie
en sort. Qu'il souffre! Il te possede. Puisque ta parole m'est
retiree; puisqu'il est bien clair que toute celte amitie, toutes ces
promesses, au lieu d'amener une consolation sainte et douce au jour de
la douleur, tombent net devant elle; eh bien, puisque je perds tout,
adieu les larmes; adieu, non, pas d'adieu, l'amour. Je mourrai en
t'aimant. Mais adieu la vie, adieu l'amitie, la pitie. O mon Dieu!
Est-ce ainsi? J'en aurai profite pour le ciel. En fermant celle
lettre, il me semble que c'est mon coeur que je ferme. Je le sens qui
se resserre et s'ossifie. Adieu. (_Lettre de Baden, 15 septembre_.)
La fin de ce mois de septembre ne fut que tristesses pour tous les
trois. Au commencement d'octobre, George Sand rentrait de Nohant, et
Musset lui-meme arrivait le 13 a Paris. Sa pensee unique restait a son
amie, et son premier soin etait de lui demander de la revoir:
Mon amour, me voila ici. Tu m'as ecrit une lettre bien triste, mon
pauvre ange, et j'arrive bien triste aussi. Tu veux bien que nous nous
voyions. Et moi, si je le veux! Mais ne crains pas de moi, mon enfant;
la moindre parole, la moindre chose, qui puisse te faire souffrir un
instant. Voyons-nous, ma chere ame, et tu auras toute confiance, et tu
sauras jusqu'a quel point je suis a toi, corps et ame. Tu verras qu'il
n'y a plus pour moi ni douleur, ni desir, du moment qu'il s'agit de
toi. Fie-toi a moi, George. Dieu sais que je ne te ferai jamais de
mal. Recois-moi, pleurons ou rions ensemble; parlons du passe ou de
l'avenir, de la mort ou de la vie, de l'esperance ou de la douleur. Je
ne suis plus rien, que ce que tu me feras. Ainsi, un mot. Dis-moi ton
heure. Sera-ce ce soir? Demain? Quand tu voudras, quand tu auras une
heure, un instant a perdre. Reponds-moi une ligne. Si c'est ce soir,
tant mieux. Si c'est dans un mois, j'y serai. Ce sera quand tu n'auras
rien a faire. Moi, je n'ai a faire que de t'aimer. Ton frere,
ALFRED.
--Cette utopie que tous trois auraient acceptee, d'une amitie vaguement
amoureuse, n'est guere precisee, que dans les lettres de George Sand. Ni
Pagello, dans son journal, ni Musset, dans ses lettres, ses romans et
ses vers, ne paraissent y avoir souscrit, aussi resolument.
Pagello ne fait meme aucune allusion, dans son memorial sincere, aux
egards que son amie pretend lui avoir te
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