hommes.
J'attends avec impatience un mot de vous; si vous aviez vu comme Maurice
etait rayonnant en m'apportant cette nouvelle, ce matin, a mon reveil!
Quelle joie dans la maison, meme pour ceux qui ne vous connaissent pas!
Si vous n'avez pas le temps d'ecrire, faites-moi donner avis de ce que
vous faites, par quelque ami.
GEORGE SAND.
CCCLXXXI
AU MEME
Paris, 28 octobre 1854
Mon ami,
Vous vous calomniez quand vous dites: "J'ai agi dans un moment de
surprise, en songeant plutot a mes interets propres qu'a ceux de la
cause."
Non, ce n'est pas comme cela: vous avez cru sacrifier encore une fois
votre vie et votre repos a l'interet moral de la cause. Moi, j'aurais
eu, _j'avais_ une autre appreciation de cet interet. Votre action n'en
est pas moins pure et moins belle. Mais laissez-moi vous dire mon
sentiment. Il y a les belles actions, et les bonnes actions. La charite
peut faire taire l'honneur meme. Je ne dis pas le veritable honneur,
celui qu'on garde intact et serein au fond de la conscience, mais
l'honneur visible et brillant, l'honneur a l'etat d'oeuvre d'art et de
gloire historique. Cet honneur-la, de meme que celui du coeur, s'est
empare de votre existence. Vous etes deja passe a l'etat de figure
historique et vous representez, de nos jours, le type du _heros_, perdu
dans notre triste societe.
Laissez-moi pourtant defendre la charite, cette vertu toute religieuse,
toute interieure, toute secrete peut-etre, dont l'histoire ne parlera
pas et qu'elle pourra meme meconnaitre absolument. Eh bien, selon moi,
la charite vous criait: "Restez, taisez-vous! acceptez cette grace;
votre fierte chevaleresque rive les fers et les verrous des cachots.
Elle condamne a l'exil eternel les proscrits de Decembre, a la mendicite
ou a la misere dont on meurt, sans se plaindre, des familles entieres,
des familles nombreuses."
Ah! vous avez vecu dans votre force et dans votre saintete! vous n'avez
pas vu pleurer les femmes et les enfants?
Dans ce cruel parti dont nous sommes, on blame, on fletrit les peres de
famille qui demandent a revenir gagner le pain de leurs enfants, cela
est odieux. J'en ai vu rentrer, de ces malheureux, qui ont mieux aime
jurer de ne jamais s'occuper de politique sous l'Empire que d'abandonner
leurs fils a la honte de la mendicite et leurs filles a celle de la
prostitution; car vous savez bien que le resultat de l'extreme detresse;
c'est la mort ou
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