mportee par le vent. La vraie force, la foi, n'est pas nee...
elle ne naitra peut-etre pas de mon temps. Ma jeunesse ne verra que des
jours mauvais, mon age mur, que des temps de positivisme. Pourquoi donc,
helas! ai-je fait un beau reve et salue une aurore qui ne devait pas
avoir de lendemain? Mieux eut valu vivre si loin de ces choses, que le
bruit n'en fut pas venu jusqu'a moi; mieux eut valu naitre et mourir
dans la pesante somnolence de ces gens de campagne qu'un changement
quelconque trouble pendant un instant, et qui retombent avec joie dans
les liens de l'habitude, sous le joug du passe.
"Telle fut la reverie douloureuse de mes annees d'adolescence, augmentee
des douleurs particulieres que je vous ai racontees.
"Aujourd'hui, j'arrive dans une societe rapidement transformee par des
evenements imprevus, poussee en avant d'une part, rejetee en arriere
de l'autre, aux prises avec des fascinations etranges, avec une pensee
enigmatique a bien des egards, comme le sera toujours une pensee
individuelle imposee aux masses. Je ne songe point ici a vous parler
politique: les inductions qui s'appuient sur des eventualites de fait
sont les plus vaines de toutes. Je me borne a chercher, dans l'avenir,
une situation morale quelconque, a laquelle je puisse me rattacher, et,
en regardant celle qui m'environne, je ne trouve pas ma place dans ces
interets nouveaux qui captivent l'attention et la volonte des hommes de
mon temps.
--Voyons, lui dis-je, j'ai tres-bien compris tout ce qui t'a rendu
triste comme te voila. Cette tristesse, loin de me sembler coupable, me
donne une meilleure opinion de toi; mais il est temps d'en sortir, je ne
dirai pas par un effort de ta volonte (il n'y a pas de volonte possible
sans un but arrete), mais par un plus grand examen de cette societe
actuelle que tu ne connais pas assez pour avoir le droit d'en
desesperer.
--Je n'en desespere pas, repondit-il; mais je la connais ou je la devine
assez, je vous jure, pour etre certain qu'il faut y vivre enivre ou
desenchante. Ce milieu paisible, raisonnable, patient, ces humbles et
bonnes existences d'autrefois, que me retrace le souvenir de ma
propre enfance dans la famille bourgeoise; cette honnete et honorable
mediocrite ou l'on pouvait se tenir sans grands efforts et sans grands
combats, n'existent plus. Les idees ont ete trop loin pour que la vie de
menage ou de clocher soit supportable. Il y a dix ans, je me le rappelle
bien, on avait encore un e
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