ssite d'augmenter ma fortune pour jouir d'un luxe dont je ne saurais
absolument que faire. Je demanderais tout simplement un peu d'aise
morale et de jouissance intellectuelle, un peu d'amour et d'honneur; et
ce sont la des choses dont le genre humain n'a plus l'air de se soucier.
Croyez-vous donc que tous ces grands frais de savoir, d'invention et
d'activite par lesquels le present montre sa richesse et manifeste sa
puissance, le rendront plus heureux et plus fort? Moi, j'en doute. Je ne
vois pas la vraie civilisation dans le progres des machines et dans la
decouverte des procedes. Le jour ou j'apprendrais que toute chaumiere
est devenue un palais, je plaindrais la race humaine si ce palais
n'abritait que des coeurs de pierre.
--Tu as raison, et tu as tort. Si tu prends le palais rempli de vices et
de lachetes pour le but du travail humain, je suis de ton avis; mais, si
tu vois le bien-etre general comme un chemin necessaire pour arriver a
la sante intellectuelle et a l'eclosion des grandes verites morales, tu
ne maudiras plus cette fievre de progres materiel qui tend a delivrer
l'homme des antiques servitudes de l'ignorance et de la misere. Pour
etre sage, tu devrais conclure ceci: que les idees ne peuvent pas plus
se passer des faits que les faits des idees. L'ideal serait sans doute
de faire marcher simultanement les moyens et le but; mais nous n'en
sommes pas la, et tu te plains d'etre ne cent ans trop tot. J'avoue que
j'ai eu souvent envie de m'en plaindre aussi pour mon compte; mais ce
sont la des desespoirs trop sublimes dont nous n'avons pas le droit
d'entretenir nos semblables, sous peine d'etre fort ridicules.
--J'en conviens, dit Jean Valreg apres avoir un peu reve. Je suis un
plus grand ambitieux que ces vulgaires ambitieux que j'accuse. Mais il
faut conclure. Je ne me sens pas ne industriel, je n'entends rien aux
affaires. Les sciences exactes ne m'attirent pas. Je n'ai pas ete a meme
de faire des etudes classiques. Je suis un reveur; donc, je suis un
artiste ou un poete. C'est de ma vocation que je veux vous parler; car,
vous le voyez, je suis fixe.
"J'ignore si j'ai des dispositions pour un art quelconque; il y en a un
pour lequel j'ai de l'amour. C'est la peinture. Je vous raconterai plus
tard comment ce gout m'est venu, si cela vous interesse. Mais cela ne
prouvera rien; je n'ai peut-etre pas la moindre aptitude, et, dans tous
les cas, je suis d'une ignorance primitive, absolue. Je vais essayer
d'a
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