giques d'une grande puissance. En certains
endroits, ce sont des cretes dechiquetees qui sortent brusquement du
sol et qui dressent d'immenses lignes de fortifications naturelles,
quelquefois triples, sur la lisiere des plateaux. Ces trainees de roches
calcaires, aussi blanches que le plus beau marbre de Carrare, dont
elles sont, je crois, cousines germaines, ressemblent a des vagues
soudainement cristallisees, et quelques-unes sont penchees comme si
elles pliaient encore sous le vent. Ailleurs, sur une etendue de
plusieurs milles, les collines sont des escaliers naturels ou la terre
vegetale est soutenue par des strates de pierre d'une regularite inouie.
On pourrait fort bien s'imaginer que chacune de ces collines etait
surmontee d'un palais magique, et que ces degres gigantesques ont ete
tailles par la main des fees pour je ne sais quels etres en proportion
avec la nature primitive. Ce sont les gradins des amphitheatres de
quelque race de titans... Mais la science dit hola a la fantaisie, et
se charge d'expliquer ces craquements formidables, ces exhaussements
subits, ces soulevements et ces ecroulements, tous ces vomissements
d'entrailles qui rayent la surface terrestre d'accidents
incomprehensibles Elle voit tout cela d'un oeil aussi tranquille que
nous les gercures d'une pomme ou les rugosites d'une coque de noix.
J'ai souvent pense, avec les poetes, que la science de ces faits etait
le bourreau de la poesie. Reste ignorant, j'avoue que je regrette
parfois de savoir meme l'infiniment peu que je sais. Mais, hier et
aujourd'hui, j'ai compris que j'avais tort. Les peintres ne doivent pas
etre si poetes que cela. La science regarde et mesure l'immensite. Le
peintre doit-il etre autre chose qu'un oeil qui voit? Or, pour voir, il
faut comprendre.
Je connais, depuis hier, un peintre qui s'en va a Rome et avec qui je
voyagerai probablement. Nous etions partis ensemble ce matin, pour la
promenade; mais il s'est arrete au bout d'une heure, pour dessiner un
petit coin qui lui plaisait. Je sais que, devant la vaste nature, le
paysagiste ne peut que choisir le petit coin approprie aux convenances
de son metier; mais, avant de s'en emparer, n'est-il pas necessaire de
comprendre l'ensemble, la charpente de ce grand corps qui, dans chaque
contree, a une physionomie, une ame particuliere? Le petit coin peut-il
nous reveler quelque chose, tant que l'ensemble ne nous a encore rien
dit? Il y a la, je crois, plus que des accidents de
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