rade, parlant raison et philosophie:
elle m'accuse, en ce moment-ci, j'en suis sur, de faire quelque debauche
eu mauvaise compagnie... Et, si elle nous voyait ici, tete a tete,
dinant avec sobriete, elle trouverait encore moyen de s'indigner. Elle
dirait que le choix de ce petit restaurant de planches sur les roches
est _shocking_, et que nous devrions etre dans le pavillon le plus
elegant de la _Reserve_... Comme si les _clovis_ et les moules fraiches
n'etaient pas aussi bons ici! Je deteste le confort, moi! Tout ce qui
ressemble au luxe me rappelle ma femme. Heureusement, elle s'est imagine
de prendre avec elle une niece tres-belle, pour aller en Italie, et,
comme elle craint que je ne la trouve pas laide... oh! mon Dieu, cela
suffirait pour amener l'orage! elle me laisse un peu plus de liberte
depuis quelque temps. C'est a cela que je dois le plaisir d'etre avec
vous. Voulez-vous venir fumer un cigare? Allons au vent, pour que mes
habits ne sentent pas le tabac!
Ils sont sortis, et, moi, je suis rentre dans la ville, a tatons, par
les sentiers coupes dans la roche. La mer n'avait plus que des plaintes
harmonieuses, et cette harmonie dans les tenebres avait un charme
etrange. Mais je voulais vous ecrire, et me voila relisant vos lettres,
vous serrant la main, et vous disant que vous etes le meilleur des amis,
mon meilleur ami, a moi!
V
Mercredi 14.
Le mistral a recommence hier et cette nuit. _Le Castor_ ne veut pas
sortir du port. J'ai pris le parti de faire de longues promenades pour
remplir ces deux journees, et je vous ecris au crayon sur une feuille de
mon album, des hauteurs de Saint-Joseph. Je suis a quelques heures de
marche de la ville; et, tandis que le froid y fait rage, je me baigne
ici dans les rayons d'un vrai soleil d'Italie. Je viens de traverser une
immense vallee et d'atteindre le pied des collines qui la ferment. Elles
ne sont pas assez elevees pour l'abriter; mais, dans leurs plis etroits,
on trouve tout a coup une chaleur ardente et une vegetation africaine.
Pour vous qui vivez avec les fleurs, je remarque les plantes que je
foule. Elles sont toutes aromatiques; c'est le thym, le romarin, la
lavande et la sauge qui dominent. Les courts gazons sont jonches de
petits soucis d'un or pale et d'une senteur de terebenthine.
Cette region-ci est admirable, et je comprends que la Provence soit si
vantee. Ses formes sont etranges, austeres, parfois grandioses. Elles
attestent des efforts geolo
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