es qui la guident, la vraie force, c'est-a-dire la volonte.
La nature est terrible sur cette petite planete ou nous sommes. Il est
donc bon que l'homme soit hardi. Certes, j'ai compris aujourd'hui ma
frayeur d'enfant devant ce bruit, cette agitation, cette immensite! Je
n'avais vu jusqu'alors que des bles et des foins courbes par les rafales
de nos plaines temperees. Mon pere fut oblige de me prendre dans ses
bras. J'avais tout aussi peur ainsi; ce n'etait pas d'etre emporte ou
englouti que je tremblais contre son sein: c'etait un vertige moral. Il
me semblait que mon souffle etait arrache de ma poitrine et que mon ame
tournoyait eperdue sur ces abimes. J'ai eu un peu de la meme sensation,
cette fois-ci, mais plutot agreable que penible. L'idee de la
destruction se dresse devant l'enfant comme un spectre effroyable.
Devant l'homme, habitue a la lutte, ce spectre appelle plus qu'il ne
menace, et le vertige est presque une volupte.
J'ai eu un etrange plaisir a voir entrer, dans cette passe difficile de
l'ancien port, quelques petits batiments plus ou moins en peril, selon
leur construction, leur pilote et la force de la lame. Tous s'en sont
bien tires. Un petit chasse-maree, d'apparence assez fragile, m'a
interesse particulierement. C'etait le moment de tourner pour entrer
dans la rade, le moment critique! La vague, sur laquelle il bondissait
comme un oiseau des tempetes, le prenait alors en flanc. Il s'est
couche si a plat, que ses vergues effleuraient la crete des flots; mais
aussitot il s'est releve, agile, elastique comme un arc bien tendu. Il a
franchi legerement une vraie montagne bouillonnante, et il s'est trouve
dans les eaux calmes, fier comme un cygne qui reprend possession de
son nid. Rien ne trahissait l'epouvante dans les mouvements du petit
equipage, et j'etais fier, pour ma part, comme si j'eusse ete de la
partie. Oui, l'homme doit etre intrepide, et le spectacle le plus
attrayant, c'est, on le concoit bien, le deploiement des forces
humaines. Les tempetes et les oceans ne sont rien: l'ame universelle
emanee de Dieu a son foyer le plus pur en nous, qui meprisons la mort,
et ce n'est pas la terre et la mer seulement qu'il faut peindre,
n'est-ce pas, mon ami? c'est l'homme et sa vie!
Puis un navire plus lourd est arrive. Son entree a demande plus de
ceremonies. Dans ces crises ou le sort de l'equipage depend de la
manoeuvre, on entend des cris a bord; mais c'est le commandement de
l'intelligence ou de l'
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