mme
de l'huile pouvait se courroucer un peu, j'espererais que la tante
retournerait vite a ses oreillers... Mais qu'est-ce que vous avez, mon
cher, et a qui est-ce que je parle?
--A quelqu'un qui vous ecoute d'une oreille, mais qui, de l'autre,
reconnait une voix... Tenez, mon cher, cette dame qui emmene votre
princesse en Italie est bien sa tante, c'est milady _trois etoiles_.
Je ne connais que son nom de bapteme, Harriet; mais je sais qu'elle a
epouse par amour un cadet de famille qui s'est laisse enrichir de huit
cent mille livres de rente, un tres-bon et tres-honnete homme, pas gai
tous les jours; mais ceci ne fait rien a l'affaire. Votre heroine est
bien reellement une personne de grande maison, et peut-etre l'heritiere
future de cette grande fortune, car milord et milady n'ont pas
d'enfants.
--Zadig! s'ecria Brumieres transporte de joie, ou diable avez-vous
appris tout cela?
--Vous voyez bien, repris-je en lui montrant un Anglais chauve, a
pantalon grillage, qui s'etait approche assez respectueusement des deux
femmes, que voila milord qui parle a sa femme!
--Ca? C'est le domestique!
--Je vous jure que non; et, s'il n'a pas voulu vous repondre, c'est que
vous ne lui etes pas presente, et que, devant milady, il ne veut pas
paraitre ce qu'il est, un homme sans morgue et parlant te francais aussi
facilement que vous et moi.
--Encore une fois, Zadig, expliquez-vous!
Je refusai de m'expliquer, autant pour me divertir de l'etonnement de
mon camarade, que pour obeir a un sentiment, peut-etre exagere, de
delicatesse. J'avais surpris les secrets du menage de lord _trois
etoiles_, en ecoutant, avec une attention dont je pouvais bien me
dispenser, ses confidences a un ami, a travers une cloison du cabaret
de la _Reserve_. Je crois que je devais m'en tenir la, et ne pas les
divulguer.
Maintenant, mon ami, vous allez aussi me traiter de Zadig et me demander
comment je reconnaissais un homme dont je n'avais pas apercu la figure.
Je vous repondrai que d'abord sa voix, sa prononciation, ses intonations
tristes et comiques a la fois m'etaient restees dans l'oreille d'une
facon toute particuliere. Si je voulais me faire valoir comme devin,
j'ajouterais qu'il est certains traits, certaines physionomies et
certaines tournures qui s'adaptent si parfaitement a certaines manieres
de s'exprimer, et a certaines revelations de caractere et de situation,
qu'il n'y a pas moyen de les meconnaitre. Mais, pour rester dans
l'e
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