t a autre chose. Je suis l'amant
d'une petite comparse assez jolie, bete comme une oie et tant a fait
depourvue de coeur. C'est si facile d'avoir affaire a des femmes de
cette espece, que je ne m'inquiete pas d'etre trahi ou abandonne par
celle-la. J'en retrouverais, le lendemain une autre, qui ne vaudrait ni
plus ni moins. Ma vie est occupee, et, si elle est un peu assujettie, je
m'en console en me disant que je travaille pour conquerir ma liberte.
C'est quelquefois un peu penible, et il n'est pas bien certain que je
n'eusse pas pris le chemin le plus sur et le plus court en m'etablissant
dans mon village, et en epousant quelque belle dindonniere qui m'eut
doucement abruti, en me faisant porter des habits rapieces et des
marmots a joues pendantes. Mais j'ai voulu vivre par l'esprit et je n'ai
pas le droit de me plaindre.
Je fis un voyage, et, au bout de deux ans, je retrouvai Jean Valreg a
Paris dans une situation analogue. Il s'etait lasse de l'orchestre; mais
il avait trouve des ecritures a faire chez lui, le soir, et des lecons
de musique a donner dans une pension, deux fois par semaine, il gagnait
donc toujours une centaine de francs par mois, et continuait a etudier
la peinture. Il etait toujours mis avec une proprete scrupuleuse et un
certain gout. Il avait toujours ces excellentes manieres et cet air de
parfaite distinction qu'il avait pris on ne sait ou, dans sa propre
nature apparemment; mais il etait plus pale qu'autrefois et paraissait
plus melancolique.
--Voyons, lui dis-je, tu m'as ecrit plusieurs lettres pour me demander
de mes nouvelles, et je t'en remercie, mais sans jamais me parler de
toi, et je m'en plains. Tu me dis aujourd'hui que tu as reussi a te
maintenir dans ton travail, dans tes idees et dans ta conduite. Mais tu
as quelque chose comme vingt-trois ans, et, avec cette perseverance dont
tu viens de faire preuve, tu dois avoir acquis quelque talent. Il faut
que j'aille chez toi voir ta peinture.
--Non, non! s'ecria-t-il, pas encore! Je n'ai aucun talent, aucune
individualite; j'ai voulu proceder logiquement et me munir, avant tout,
d'un certain savoir. Je tiens maintenant le necessaire, et je vais
essayer de me trouver, de me decouvrir moi-meme. Mais, pour cela, il
faut une toute autre vie que celle que je mene, et qui est horrible, je
ne vous le cacherai plus; si horrible pour moi, si antipathique a ma
nature, si contraire a ma sante, que, sachant votre amitie pour moi, je
n'ai pas voulu
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