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encore dans l'habitude de vivre avec la Marion, sa vieille et fidele
gouvernante, la meilleure des femmes dans ses actions, la plus
dedaigneuse et la plus malveillante dans ses paroles. Il n'est pas de
devouement dont elle ne soit capable envers les gens les moins dignes
d'interet de la paroisse; mais, en revanche, il n'en est pas, parmi les
plus dignes, qu'elle ne dechire a belles dents sitot qu'elle prend son
tricot ou sa quenouille pour faire la _causette_ du soir avec M. l'abbe,
lequel, moitie riant, moitie dormant, l'ecoute avec complaisance, et
s'entretient ainsi en belle sante et en belle humeur aux depens du
prochain.
Ceci est fort inoffensif, car, avec leur grand esprit de conduite, ces
deux braves personnages ne confient leurs medisances et leurs dedains
a personne du dehors. Mais j'y ai ete initie si longtemps, que
certainement quelque chose a du en rejaillir sur moi et m'habituer, a
mon insu, a une mefiance instinctive dans mes relations.
Pourtant je n'ai pas a me reprocher d'avoir partage cette malveillance
generale. Au contraire, il me semble que je m'en defendais; mais je me
persuadais peut-etre insensiblement que j'en meritais ma part, et que,
si l'abbe Valreg me l'epargnait, c'est uniquement parce que j'etais son
parent et son enfant d'adoption. Quant a ses moqueries, etant place sous
sa main pour lui servir de but, j'en etais incessamment crible. C'etait
avec une intention paternelle et affectueuse, je n'en saurais douter,
mais c'etait de la moquerie quand meme. Bon regime, certes, pour
tuer tout germe de sottise et de vanite, mais regime excessif par sa
persistance, et qui devait me conduire jusqu'au detachement trop absolu
de moi-meme.
Pour vous donner une idee, une fois pour toutes, des facons ironiques de
mon oncle, il faut que je vous raconte mon arrivee ici, avant-hier au
soir.
Comme aucune diligence, aucune patache ne dessert notre village, je vins
a pied, a la nuit tombante, par un temps doux et des chemins affreux.
--Ah! ah! s'ecria mon oncle des qu'il me vit, c'est fort heureux!
He! Marion! c'est lui! c'est mon coquin de neveu! Fais-le souper,
tu l'embrasseras apres; il a plus faim de soupe que de caresses.
Assieds-toi, chauffe-toi les pieds, mon garcon. Je te trouve une fichue
mine. Il parait que tu ne gagnes pas deja si bien ta vie, la-bas, car tu
as fait maigre chere, ca se voit. Ah ca! il parait que tu t'en vas en
Italie pour detroner Raphael et... et les autres fameux barbou
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