sprit d'association dans les sentiments,
des volontes en commun, des desirs ou des regrets dont on pouvait
s'entretenir a plusieurs. Rien de semblable depuis que chaque parti
social ou politique s'est subdivise en nuances infinies. Cette fievre de
discussion qui a deborde les premiers jours de la Republique, n'a pas eu
le temps d'eclaircir des problemes qui portaient la lumiere dans leurs
flancs, mais qui, faute d'aboutir, ont laisse des tenebres derriere eus,
pour la plupart des hommes de cette generation. Quelques esprits d'elite
travaillent toujours a elucider les grandes questions de la vie morale
et intellectuelle; mais les masses n'eprouvent que le degout et la
lassitude de tout travail de reflexion. On n'ose plus parler de rien de
ce qui est au dela de l'horizon des interets materiels, et cela, non pas
tant a cause des polices ombrageuses que par crainte de la discussion
amere ou oiseuse, de l'ennui ou de la mesintelligence que soulevent
maintenant ces problemes. La mort se fait presque au sein meme des
familles les mieux unies; on evite d'approfondir les questions
serieuses, par crainte de se blesser les uns les autres. On n'existe
donc plus qu'a la surface, et, pour quiconque sent le besoin de
l'expansion et de la confiance, quelque chose de lourd comme le plomb et
de froid comme la glace est repandu dans l'atmosphere, a quelque etage
de la societe que l'on se place pour respirer.
--Cela est certain; mais l'humanite ne meurt pas, et, quand sa vie
semble s'eteindre d'un cote, elle se reveille de l'autre. Cette societe,
engourdie quant a la discussion de ses interets moraux, est en grand
travail sur d'autres points. Elle cherche, dans la science appliquee
a l'industrie, le _royaume de la terre_, et elle est train de le
conquerir.
--Voila ce dont je me plains precisement! Elle ne se soucie plus du
royaume du ciel, c'est-a-dire de la vie de sentiment. Elle a des
entrailles de fer et de cuivre comme une machine. La grande parole,
l'_homme ne vit pas seulement de pain_, est vide de sens pour elle
et pour la jeune generation, qu'elle eleve dans le materialisme des
interets et l'atheisme du coeur. Pour moi qui suis ne contemplatif, je
me sens isole, perdu, depouille au sein de ce travail, ou je n'ai rien
a recueillir; car je n'ai pas tous ces besoins de bien-etre que tant de
millions de bras s'acharnent a satisfaire. Je n'ai ni plus faim ni
plus soif qu'il ne convient a un homme ordinaire, et je ne vois pas la
nece
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