risonne dans une foret de
batiments qui ne sont pas tous propres a regarder, j'aime mieux payer
l'impot d'arrivee a toutes les polices locales, et voir quelque chose
qui remplisse activement ma journee. Cela me fait faire des depenses
extravagantes pour un gueux de peintre; mais je suis releve de mon
serment, et l'abbe Valreg est resigne a me laisser vivre.
Je n'avais pas fait trois pas dans la ville de Livourne, que vingt
voiturins se disputaient l'honneur de me conduire a Pise. J'avais manque
l'heure du petit chemin de fer qui y transporte en peu d'instants, et
j'allais me laisser ranconner, lorsque Benvenuto s'est dresse a mes
cotes comme une providence, pour faire le marche, sauter sur le siege et
me servir de cicerone. Comment avait-il debarque? qui l'avait preserve
des formalites couteuses et ennuyeuses que je venais de subir? Dieu le
sait! Il y a aussi une providence pour les bohemiens.
Nous avons traverse ces grands terrains d'alluvion tout recemment sortis
de la mer. Vous vous souvenez de ce fait, qu'au temps d'Adrien, Pise
etait a l'embouchure de l'Arno, dont elle est aujourd'hui eloignee de
trois lieues. Il n'y a, au bord de ces terrains qui gagnent toujours,
que des oliviers maigres, des taillis marecageux, des champs inondes,
couverts de goelands; puis des cultures trop bien alignees, des villages
sans caractere. Mais Pise en a de reste. C'est solennel, vide, largement
ouvert, nu, froid, triste et, en somme, assez beau. J'ai dejeune en
toute hate et couru aux monuments. La basilique greco-arabe et son
baptistere isole, la tour penchee, le _Campo-Santo_, tout cela, sur une
immense place, est tres imposant. Je ne vous dirai pas comme ferait un
_guide_ imprime, que ceci ou cela est admirable ou defectueux au point
de vue du gout ou des regles. Les chefs-d'oeuvre ont des defauts; a plus
forte raison ces edifices batis, ornes ou enrichis a diverses epoques,
chacune apportant la son progres ou sa decadence. Chacun y a apporte sa
volonte ou sa puissance; voila ce qu'il y a de certain et ce qui peut
toujours etre regarde avec un certain respect ou avec un certain
interet. Ces grands ouvrages qui ont absorbe le travail, la richesse et
l'intelligence de plusieurs generations sont comme des tombes elevees
a la memoire des idees, tombes couvertes de trophees qui, tous, sont
l'expression de l'ideal d'un siecle.
La tour penchee est une jolie chose, nonobstant l'accident qui l'a
rabaissee au role de curiosite; mais l
|