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--Je ne sais pas, je chercherai! Si j'ai besoin de votre conseil et de
votre recommandation, je viendrai vous les demander.
Deux mois apres, Jean Valreg etait violon dans l'orchestre d'un petit
theatre lyrique. Il etait bon musicien et jouait assez bien pour faire
convenablement sa partie. Il ne s'etait jamais vante de ce talent, que
nous ne lui supposions pas.
--J'ai pris ce parti sans consulter personne, me dit-il; on eut essaye
de m'en detourner; et vous-meme...
--Je t'eusse dit ce qui doit etre vrai: c'est qu'avec les repetitions du
matin et les representations du soir, il ne te reste guere de temps
pour etudier la peinture. Mais peut-etre as-tu renonce a la peinture?
peut-etre preferes-tu maintenant la musique?
--Non, dit-il, je prefere toujours la peinture.
--Mais ou diable avais-tu appris la musique?
--Cela s'apprend tout seul, avec de la patience! J'en ai beaucoup!
--Pourquoi ne pas te perfectionner dans cet art-la, puisque tu as un si
bon commencement?
--La musique met trop l'individu en vue du public. Perdu dans mon
orchestre, je n'attirerai jamais l'attention de personne; mais, le
jour ou je serais un virtuose distingue, il faudrait me produire et me
montrer; cela me generait. Il me faut un etat qui me laisse libre de ma
personne. Si je fais de la mauvaise peinture, on ne me sifflera pas
pour cela. Si j'en fais d'excellente, on ne m'applaudira pas quand je
passerai dans la rue; tandis que le virtuose est toujours sur un pilori
ou sur un piedestal. C'est une situation hors nature, et qu'il faut
avoir acceptee de la destinee comme une fatalite, ou de la Providence
comme un devoir, pour n'y pas devenir fou.
--Enfin, tu as du temps de reste pour l'atelier?
--Peu, mais j'en ai. Mon apprentissage durera plus longtemps que si
j'avais toutes mes heures disponibles; mais il est possible maintenant;
tandis que, sans cette ressource de mon violon, il ne l'etait pas du
tout. J'aurais pu, il est vrai, disposer de mon capital, sauf a n'avoir
pas un morceau de pain et pas de talent dans trois ou quatre ans d'ici;
mais, si je parlais a mon oncle de lui retirer la gestion de cette belle
fortune, il me donnerait sa malediction et me croirait perdu. J'aurai
donc de l'ordre bon gre mal gre; c'est-a-dire que je me contenterai de
manger mon superbe revenu. Donc, tout est bien ainsi. L'etat que je
fais ne m'ennuie pas trop. Je racle mon violon tous les soirs comme une
machine bien graissee, tout en pensan
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