s que je pusse dire pourquoi; les
moindres accidents de terrain, la moindre pierre moussue, et meme les
details prosaiques du paysage, le linge etendu sur une corde a la porte
de la chaumiere, les poules grattant le fumier, la baraque de branches
et de terre battue, la barriere de bois brut et mal agence qui, clouee
d'un arbre a l'autre, separait le pre de la cheneviere.
-Qu'y a-t-il de si etonnant dans tout cela? me demandais-je; et d'ou
vient que seul j'en suis frappe? Les gens qui passent ou qui travaillent
a la campagne n'y font point d'attention, et mon oncle lui-meme, qui est
le plus instruit de ceux que je vois, ne m'a jamais parle d'un pareil
phenomene. Est-ce un etat de la nature exterieure ou un etat de mon
ame? est-ce une transfiguration des choses autour de moi ou une simple
hallucination de mon cerveau?
Cette heure d'extase garda son mystere pendant quelques jours, parce que
c'etait, dans la saison, l'heure a laquelle soupait mon oncle, et il
etait fort severe quant a la regularite des habitudes de sa maison.
Une journee de mon absence ne le tourmentait pas; une minute d'attente
devant ma place vide a table le contrariait serieusement. Il etait si
bon, d'ailleurs, que je ne craignais rien tant que de lui deplaire.
Aussi, des que le timbre lointain de l'horloge de l'eglise, et certain
vol de pigeons dans la direction du colombier, me marquaient le moment
precis ou la Marion mettait le couvert, il me fallait m'arracher a ma
contemplation et interrompre ma jouissance a demi savouree. Elle me
poursuivait alors comme un reve, et, tout en coupant le gigot ou le
jambon en menues tranches pour obeir aux prescriptions de l'abbe Valreg,
je voyais passer devant mes yeux des files de buissons aux contours
dores, et des combinaisons de paysages empourpres par les reflets d'un
ciel ardent comme la braise.
Mais ces jours d'automne raccourcissant tres-vite, j'eus bientot le
loisir auquel j'aspirais, et je pus suivre, avec ce sentiment de la
beaute des choses qui s'etait eveille en moi comme un sens nouveau, les
admirables degradations du jour et la succession d'aspects etranges
ou sublimes que prenait la campagne. J'etais comme enivre a chaque
observation nouvelle, et, bien que nourri de livres poetiques, il ne me
venait pas a la pensee de chercher dans les mots le cote descriptif de
ma vision. Je trouvais les mots insuffisants, les peintures ecrites
vagues ou inexactes. Les plus grands poetes me paraissaient chercher
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