faire aimer jamais d'une
merveille de beaute, de luxe et d'esprit, je me dirai que je le meritais
et qu'elle ne pouvait pas faire un meilleur choix, puisque avec rien
j'ai su conquerir celle qui avait tout. J'y ai souvent pense; j'ai frise
de grandes aventures, et vous verrez que j'en attraperai un belle,
un jour ou l'autre. Ces choses-la arrivent toujours a qui s'y croit
destine, jamais a qui doute de soi-meme.
La-dessus, nous nous sommes souhaite le bonsoir, et, enveloppe de son
manteau rape, le bon jeune homme s'est endormi sur un banc, dans sa
confiance et dans son bonheur, dans sa raison peut-etre! Ce qui me
choque et m'etourdit dans cette estime de soi que rien ne justifie,
c'est peut-etre la, tout de bon, le moyen grossier, mais toujours sur,
de realiser ses reves. Mais ou diable va-t-on chercher de pareils reves?
VI
Passe Genes, 16 mars, onze heures du soir.
Toujours a bord du _Castor!_ Mais j'ai passe une magnifique journee. Ce
matin, je me suis eveille a six heures, apres avoir un peu dormi, bien
malgre moi, car c'est un vrai plaisir, pour qui n'en a pas l'habitude,
d'entendre, de voir et de sentir le flot, meme dans les tenebres. Je dis
voir, parce que les sillages phosphorescents dessinent mille arabesques
changeantes autour des flancs du navire. On s'hebete a regarder cela, il
me semble que je ne m'en lasserais jamais.
Je m'etais assoupi ayant froid, je me suis eveille ayant chaud. Le
soleil brillait deja, le soleil d'Italie! C'est lui que j'ai salue
le premier, et ensuite j'ai ete libre de saluer le _Gigante_. Vous
connaissez par les gravures et par le daguerreotype cette riante entree
du port de Genes, cette colonnade des jardins du palais Doria, et cette
statue colossale (qui n'est pas celle d'Andre) qui, de la colline ou
elle se tient depuis si longtemps sur ses grosses jambes, semble, d'un
air bonhomme, vous souhaiter la bienvenue. Je vous ferai donc grace de
cette description. Le premier aspect de la ville a, vous le savez, plus
d'etrangete que de beaute; mais c'est une etrangete souriante; et, ici,
le moyen age n'a rien laisse d'imposant, rien de lugubre non plus.
On vous fait attendre le debarquement pendant deux mortelles heures, et
ensuite, pour vous permettre de passer une journee sur le territoire
sarde, on vous ranconne sous pretexte de _visa_, sans compter le temps
qu'on vous prend encore a vous faire attendre le bon plaisir de la
police et des ambassades. L'accueil n'a rien d'
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