lutte continua jusqu'en fevrier 1848,
moment de vertige ou une explosion nouvelle vous fit retrouver la
jeunesse et la foi. Tout ce qui s'est passe depuis n'a pu vous les
faire perdre. Vous et vos amis, vous avez pris l'habitude de croire et
d'attendre; vous serez toujours jeunes, puisque vous l'etes encore
a cinquante ans. On peut dire que le pli en est pris, et que votre
experience du passe vous donne le droit de compter sur l'avenir. Mais
nous, enfants de vingt ans, notre emotion a suivi la marche contraire.
Notre esprit a ouvert ses ailes pour la premiere fois, au soleil de la
Republique; et tout aussitot les ailes sont tombees, le soleil s'est
voile. J'avais treize ans, moi, quand on me dit: "Le passe n'existe
plus, une nouvelle ere commence; la liberte n'est pas un vain mot, les
hommes sont murs pour ce beau reve; tu vas avoir l'existence noble
et digne que tes peres n'avaient fait qu'entrevoir, tu es plus que
l'_egal_, tu es le _frere_ de tous tes semblables."
--Est-ce ton oncle le cure qui te parlait de la sorte?
--Non, certes. Mon oncle le cure, qui n'avait pas peur pour sa vie
(c'est un homme brave et resolu), avait peur pour son petit avoir, pour
son traitement, pour son champ, pour son mobilier, pour son cheval. Il
avait horreur du changement, et, sans avoir ni ennemis ni persecuteurs,
il revait avec effroi le retour de 93.
"Quant a moi, je lisais les journaux, les proclamations, et j'entendais
parler. Je buvais l'esperance par tous mes sens, par tous mes pores, et
j'eus deux ou trois mois d'enfance enthousiaste qui furent ma seule, ma
veritable jeunesse.
"Puis vinrent les journees de juin, qui apporterent l'epouvante et la
colere jusqu'au fond de nos campagnes. Les paysans voyaient des bandits
et des incendiaires dans tous les passants; on leur courait sus, et mon
pauvre oncle, si humain et si charitable, avait peur des mendiants et
leur fermait sa porte. Je compris que la haine avait devore les semences
de fraternite avant qu'elles eussent eu le temps de germer; mon ame se
resserra et mon coeur contriste n'eut plus d'illusions. Tout se resuma
pour moi dans ce mot: Les hommes n'etaient pas murs! Alors je tachai de
vivre avec cette pensee morne et lourde: La verite sociale n'est pas
revelee. Les societes en sont encore a vouloir inaugurer son regne par
la force, et chaque nouvelle experience demontre que la forme materielle
est un element sans duree et qui passe d'un camp a l'autre comme une
graine e
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